Le tourisme sexuel en Haïti, il faut qu’on en parle!

Le tourisme sexuel représente un défi majeur pour la société haïtienne. Etant un phénomène en expansion, il puise ses racines dans les fantasmes érotiques des uns, dans l’exploitation de la pauvreté des autres, et surtout dans le laxisme des politiques publiques. Hommes, femmes, enfants ne sont pas à l’abri de ce fléau. De nos jours, la diaspora haïtienne constitue l’un des principaux leviers de son développement en raison de son pouvoir économique.

Haïti est un pays à vocation touristique. Diverses raisons l’attestent. Son climat, son histoire, ses sites et monuments, et son patrimoine culturel. Dans les années 40 et 60, elle occupait la scène des destinations touristiques à visiter dans la Caraïbe (Séraphin,2010). Cependant, pour causes d’instabilités politiques, de déficit de vision globale des dirigeants, et des rumeurs de VIH sur la population, sa clientèle eut considérablement chuté en plein milieu des années 80 (Dupont, 2009 ; Pape, 1986).Ces dernières décennies, par le biais des consultants internationaux, l’ONU ainsi que des gouvernements successifs haïtiens ont tenté de redynamiser le secteur à des fins de création d’emplois et de croissance économique. Nombre d’investissements ont été effectués dans la promotion des sites sur les marchés émetteurs du tourisme international, et dans l’aménagement de certaines infrastructures de base (Balmir Villedrouin, 2012). Sauf que, en dépit de cette volonté de mettre en œuvre de nouvelles stratégies, l’Etat haïtien n’a pas prévu de plan d’action capable de protéger la population locale contre les enjeux récurrents de la triangulation: Tourisme international, Prostitution et IST.


Le tourisme international désigne le déplacement de personnes vers des pays ou territoires situés en dehors de leur environnement habituel à des fins récréatives. En tant qu’industrie, il représente 9% du PIB mondial, 8% de l’emploi mondial, et fait partie des activités économiques les plus fructueuses de l’ère moderne. Chaque année, -évidemment grâce à la démocratisation des moyens de transports – des centaines de millions de touristes voyagent dans le monde, soit 1,460 milliards en 2019. Ce qui génère un important chiffre d’affaire en faveur des pays accueillants. Depuis 1999, l’Organisation Mondiale du Tourisme voit dans le développement de cette activité une opportunité pour les pays pauvres de remédier au chômage et à la pauvreté de leurs populations.

La Déclaration Universelle des Droits Humains consacre à tout individu le droit au repos et aux loisirs (art. 24). Le tourisme étant une activité de loisirs, il est reconnu aux jeunes, aux étudiants, aux familles, aux personnes âgées et aux handicapés la possibilité d’accéder directement à la découverte des richesses de la planète (art. 7 du code mondial d’éthique du tourisme). Mais, compte tenu des réalités économiques complexes et inégalitaires existant entre les peuples, les sans emplois ne peuvent pas se permettre le luxe de le pratiquer. Or, nombreux sont-ils dans les pays du sud, reconnait l’Indice de Développement Humain. Comme conséquence logique, les populations des pays du nord ont plus de facilités à se mouvoir que d’autres. Dans l’univers de ces voyages internationaux, s’est développée une forme de sexualité marchande entre les touristes et les populations locales. Il s’agit du tourisme sexuel dont le terme désigne le déplacement visant à obtenir des relations sexuelles avec un ou une partenaire du pays de destination, dans un cadre commercial (Jean-François, 2012). Cette définition met l’emphase sur le voyage touristique et l’existence d’une prostitution locale. De manière classique, la prostitution constitue l’acte de livrer son sexe et son corps moyennant une rémunération ou tout autre forme de rétribution (cadeaux, nourriture, vêtements, visa, emplois, etc.). En effet, tourisme sexuel et prostitution sont liés. La disponibilité d’une offre sexuelle locale peut entrainer le déplacement d’un touriste ; de même que le déplacement des touristes peut occasionner la prostitution des uns et des autres. L’Organisation Internationale de la Migration signale que 10% des millions de voyageurs internationaux choisissent leurs destinations en fonction de la disponibilité de l’offre sexuelle locale, de l’inefficacité des législations et de la faiblesse des institutions publiques des Etats.

Le tourisme sexuel constitue une dérive du tourisme international. Des Etats, des associations et des intellectuels le condamnent autant que la prostitution dans laquelle il s’enracine. Qu’il s’agisse du tourisme sexuel entre adultes consentants ou du tourisme sexuel impliquant les enfants, les prohibitionnistes y voient seulement une forme d’exploitation sexuelle, une atteinte à la dignité de la personne humaine contre laquelle il faut lutter. Richard Poulin soutient que la pratique de cette activité doit son développement à la misère économique et sociale. En effet, les populations ayant un faible accès à l’éducation, au travail et à un niveau de vie décent, sont plus susceptibles de devenir main-d’œuvre de l’industrie du sexe. Donc, ce n’est pas sans raison que le touriste est considéré comme un roi ou un sauveur dans les pays pauvres. Premièrement parce que le dollar lui accorde un pouvoir d’achat supérieur à celui d’un autochtone ; et deuxièmement à cause des vulnérabilités socioéconomiques auxquelles fait face celle ou celui qui se prostitue.

Haïti représente le plus pauvre pays des Amériques. Entre 2010 et 2020, elle a connu des catastrophes naturelles ( séisme 2010, épidémie de choléra, ouragan Matthew) et des scandales sexuels ( affaire OxfamGB, bébés MINUSTAH, affaire Kaliko). Aujourd’hui, la prostitution de survie touche une grande partie de sa population. Des femmes, des hommes y compris des enfants se muent en objets pour assouvir les fantasmes érotiques de potentiels clients. Certains l’exercent comme une profession, tandis que d’autres en font l’expérience pour échapper à une difficulté ou bénéficier d’un avantage immédiat. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer la situation de ces personnes : la pauvreté, le chômage, le manque d’éducation, le délitement des familles, la migration et l’inefficacité de la législation nationale. Pendant que le Ministère du tourisme et des agences privées invitent des touristes internationaux à visiter le pays, la pratique ne cesse de s’amplifier dans les villes, et en plus ne jouit d’aucun statut légal. Elle n’est ni interdite ni réglementée. Pourtant entre 1952 et 2014, l’Etat haïtien a ratifié plusieurs conventions y relatives. Le décret du 04 novembre 1983 créant l’IBERS (Institution de Bien-Etre Social et de Recherche) prévoit une direction de défense sociale chargée de lutter contre la prostitution. Mais tenant compte de la réalité du terrain, son effectivité est profondément remise en question. La société haïtienne est livrée à elle-même, et par extension, à toute forme d’exploitation sexuelle. A l’heure actuelle, l’haïtien de la diaspora incarne le rôle du touriste sauveur. Etant donné qu’il dispose du dollar, l’offre sexuelle lui est disponible à loisir. En général, la relation entre ce dernier et la personne vendeuse s’apparente à une histoire d’amour dans laquelle chacun tire ses profits : l’un, l’argent ; l’autre, du sexe ou des photos dénudées. Dans certains cas, avant même de voyager, le patron de la diaspora demande à un ami local de lui planifier quelques rencontres ( krèy) pour mieux profiter de son séjour. Hommes, femmes et mineurs ne sont pas à l’abri. Au sein d’une même famille, un diaspora peut coucher avec une mère et sa fille, parfois deux sœurs, une tante et sa nièce, etc. en échange des avantages économiques à court ou à moyen terme. Dans un cercle d’amis, un diaspora gay peut également se procurer le service sexuel de plus d’un, moyennant des garanties de toute sorte.

Quel que soit le pays dans lequel se développe le phénomène, il comporte à la fois des risques de santé (mentale/physique) et des risques juridiques pour les populations locales et pour les visiteurs. Dépression, comportements addictifs aux drogues et à l’alcool, stigmatisation, maladies gynécologiques, infections sexuellement transmissibles, violences, esclavage sexuel, traite des personnes et pédophilie en sont les principaux. Rodriguez-Garcia révèle que de 1980 à 1993, les IST se sont multipliées avec les voyages internationaux, soit 100000 cas à 20 millions. En Haïti, une étude du Dr Pape Jean William situe le premier cas de VIH pendant la période d’âge d’or du tourisme haïtien. En 2017, 33 jeunes filles de 13 à 24 ans se sont retrouvées à Kaliko Beach à des fins d’exploitation sexuelle, sans oublier les centaines d’enfants abandonnés par les soldats de la MINUSTAH. Selon une étude de l’IBERS datant de 2018, chaque jour plus de 150 enfants font l’objet de trafics le long de la frontière Haïti République Dominicaine. Donc, nous pouvons imaginer à quoi nous devons nous attendre, si l’Etat haïtien continue de négliger l’urgence d’un plan d’action globale des ministères du tourisme, des affaires sociales et du travail, de la santé, et de la justice.

En conclusion, Haïti représente un terreau fertile pour le tourisme sexuel. Malgré le risque des IST, de traite des personnes, de grossesses, les gens se vendent pour survivre. Occasionnellement ou régulièrement ! Certains s’obstinent même à trouver un client, parfois deux ou trois dans le but de soulager leurs misères. Les lieux de vente peuvent varier d’une ville à une autre: rue, bars, hôtels, salons de massage, à domicile et sur internet. Quant aux haïtiens de la diaspora et aux expatriés, ils se plaisent à consommer et à satisfaire leurs fantasmes. Parfois certains vont jusqu’à promettre des visas, des voyages et autres avantages. Un fait insolite : de nos jours,il est fort probable que les personnes qui se prostituent occasionnellement dans le pays soient plus nombreuses que celles se déclarant travailleurs ou travailleuses du sexe.

Références bibliographiques

Albert, Darlenson. « Enjeux socio-juridiques du tourisme sexuel comme nouvelle forme d’exploitation en Haiti : le cas de Ouanaminthe de 2010 à 2020 », Faculté de Droit et des Sciences Economiques, 2022, p.115

Dupont, Louis. « Co intégration et causalité entre développement touristique, croissance économique et réduction de la pauvreté : cas de Haïti. ». Etudes caribéennes, décembre 2009

Jean-François, Staszak. « L’imaginaire géographique du tourisme sexuel ».
L’information géographique, Vol 76, 2012

Jean-Paul, Tarrieux. Le tourisme international, moteur, symbole et enjeu de la mondialisation. Juin 2019

Mossuz -Lavau, Janine. La prostitution. Dalloz, 2015, p. 316

Poulin, Richard. Abolir la prostitution. Sisyphe, 2007, p. 125

Roux, Sebastian. No money, no honey. Economies intimes du tourisme sexuel en
Thaïlande. La découverte, p. 268

Pape, Jean William et Bernard,Liautaud, et al. “Risk factors associated with AIDSin
Haiti.” Science, vol 225, no.4666, 1986

Séraphin, Hugues. « Quel avenir pour le tourisme en Haïti ? ». Revue Espaces, 281,
2010


FONDATION SCELLES. L’exploitation de la prostitution : « un fléau mondial », connaitre, comprendre, combattre l’exploitation de la prostitution. 3eme Edition, S.P.E.I., juin 2012, p. 5

www.lenouvelliste.com/article/179146/affaire-kaliko-beach-limogeage-de-quatre￾substituts-du-commisaire-et-lettre-de-blame-pour-un-autre/amp

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