«Dechouke lanfè sou latè », mise en lumière des conditions des détenues en Haïti

Du 2 au 9 février 2023, l’Association 4 Chemins (A4C) et Avocats Sans Frontières (ASF) ont
organisé une tournée de spectacles et de conférences dans le Nord du pays, plus
précisément au Cap-Haïtien et aux Gonaïves pour dénoncer la condition des femmes
détenues et faire un plaidoyer sur la préventive détenue, véritable fléau social.
Sous la direction de la Cie Hors-Temps et la mise en scène de Février Gertrude-Hugh,
assistée par Kav-Alye Pierre et chorégraphié par Schneiderson René; des ex-détenues se
sont prêtes au jeu de la scène pour pointer du doigt ce qu’elles ont vécu et ne veulent plus
vivre : l’enfer.

Selon un rapport du RNDDH (Réseau National des Droits de L’Homme) paru en 2021, sur
496 femmes en détention, seulement 10 ont été condamnées et 396 en détention préventive
prolongée c’est-à-dire qu’elles n’ont jamais eu droit à un jugement. Déjà, les structures
d’accueil ne correspondent pas aux standards internationaux et sont décriées par les
organismes de droits humains. Prenons par exemple la mixité des prisons qui favorise la
proximité entre hommes et femmes détenu(e)s qui est à la base d’un autre grand problème
qui passe presque dans l’indifférence générale: le viol collectif.

Dans la nuit du 26 au 27 janvier, 17 détenues se sont fait violer par une cinquantaine de
détenus dans la prison civile des Gonaïves au cours d’une mutinerie et une évasion
massive. En novembre 2019, le même phénomène s’était produit, 12 détenues dont une
mineure avaient subi un viol collectif dans cette même prison surpeuplée et peu aérée des
Gonaïves selon ce que rapporte l’organisation Mains Ensemble pour le Développement
d’Haïti (MEDHA). Le RNDDH et la Sofa recommandent sans cesse la séparation des
hommes et des femmes dans les prisons pour éviter qu’un tel drame se reproduise. A noter
que sur 19 prisons dans le pays, 13 sont mixtes et une seule est réservée uniquement aux
femmes.

« Dechouke lanfè sou latè » est plus qu’une performance, c’est la retranscription des
horreurs et des violences subies par des femmes dans un système qui les condamne sans
les avoir jugées. Cette performance a été pour la première fois montée et jouée en 2021
dans le cadre du projet « Prizon pa ta dwe lanfè » avec une première tournée organisée
dans le nord-ouest et le nord-est du pays notamment au Môle Saint-Nicolas, à Fort
Liberté,Ouanaminthe et à Bombardopolis. Elle a de nouveau été présentée dans le cadre du
festival 4 Chemins au Centre d’Art en juillet 2022. Aux côtés des anciennes détenues, des
comédiens et comédiennes professionnels se sont joints à eux.

Le théâtre comme moyen de réinsertion sociale
Lè prizon monte nan tèt mwen, m pa jwenn on ti gout swe, on ti gout krache, sèlman dlo je
m ki la pou sèvi m enpe dlo nan diven m […] Bò isit sèl dwa n genyen se vale san goute.
Répliques de Dechouke Lanfè sou latè.
Avant que cette pièce devienne ce moyen de dénonciation et de mise en lumière, les
anciennes détenues ont dû suivre maints ateliers de formation et beaucoup de suivis
psychologiques que ce soit avec des organisations féministes ou de professionnels de la
scène. Certaines ont choisi d’y faire carrière et sont appelées sur divers projets pour
exprimer leurs talents. Une retombée positive pour ces personnes brisées par notre parangon de justice et délaissées par l’Etat. En attendant que ce dernier panse ses plaies
pour se tourner vers d’autres maux, le théâtre pourrait bien servir à sauver celles qui
peuvent l’être encore de cet Enfer institutionnalisé.

Widenie Bruno

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