Santé mentale en Haïti : le psychologue Jeff Cadichon appelle à une meilleure prise en charge

Dans la société haïtienne, la santé mentale demeure un sujet souvent méconnu ou négligé, entraînant ainsi un manque d’accompagnement pour les personnes souffrant de séquelles post-traumatiques. À l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, célébrée le 10 octobre sous le thème « Accès aux services – Santé mentale lors de catastrophes et d’urgences », le psychologue haïtien Jeff Matherson Cadichon a expliqué à notre rédaction pourquoi il est essentiel de mettre en lumière les soins liés à ce volet médical.

Selon lui, la santé mentale constitue un pilier fondamental du bien-être individuel et collectif. « La santé mentale, c’est le fondement du bien-être de l’individu et du bon fonctionnement d’une communauté. Elle est plus que l’absence de troubles mentaux. Souvent, les gens ont tendance à l’associer à un trouble quelconque, alors qu’elle va bien au-delà de ça », précise le psychopathologue.

Par ailleurs, le professeur à l’Université d’État d’Haïti note certaines évolutions dans ce domaine, même si une grande partie de la population ne saisit pas encore pleinement la portée du sujet.

« Je pense que le sujet n’est pas encore bien compris, mais il y a eu du progrès durant les 10 à 15 dernières années, surtout dans le contexte post-séisme de 2010. […] Il y a eu un boom sur la santé mentale avec le déferlement humanitaire, même si cela a eu ses côtés négatifs », souligne-t-il.

Cependant, malgré ces progrès, Jeff Cadichon déplore le manque d’implication des autorités haïtiennes. En effet, à l’époque, les organisations non gouvernementales s’étaient montrées plus actives dans la promotion du sujet, contrairement à l’État.

« Cette implication n’a pas été vraiment effective, parce que jusque-là, la santé mentale ne fait pas partie intégrante des politiques de santé du pays », indique-t-il.

De ce fait, les promesses faites n’ont pas été tenues jusqu’à présent. Toutefois, il reconnaît que certaines institutions, notamment l’Association haïtienne de psychologie, continuent à porter le sujet sur la place publique afin de maintenir le débat.

En outre, le psychologue insiste sur la nécessité d’un travail constant de psychoéducation auprès de la population. D’après lui, cette démarche est indispensable pour changer les mentalités et encourager les personnes à s’exprimer sur leurs souffrances.

« C’est un travail qui doit se faire en continu afin de mettre la santé mentale au premier plan », affirme-t-il.

En réalité, beaucoup de personnes n’osent pas parler de leurs difficultés après une catastrophe ou une urgence, de peur d’être stigmatisées. À ce propos, Jeff Cadichon explique : « C’est parce que, quelque part, c’est un sujet qui reste tabou. Lorsqu’ils en parlent, ils n’ont pas la garantie que cela sera bien reçu. C’est pour cela qu’il faut mettre l’accent sur la psychoéducation : il est normal de consulter un psychologue après avoir vécu une catastrophe ou une expérience potentiellement traumatique. »

De plus, le spécialiste souligne que la population haïtienne n’a pas un accès équitable aux services de santé mentale. Cette inégalité, selon lui, découle directement de la faiblesse des politiques publiques et du manque de ressources allouées au secteur.

« Si on regarde même la politique publique de l’État, la santé mentale est traitée en parent pauvre. Dans le budget de la santé, c’est environ 1 % qui est alloué à la santé mentale, et la majorité de ce fonds est destinée à payer le personnel », constate-t-il.

Ainsi, il estime que le niveau d’investissement demeure insuffisant, d’autant plus que le budget global de la santé reste inférieur à 10 % du budget national.

Par conséquent, cette insuffisance de moyens et de volonté politique empêche une véritable prise en charge des besoins de la population.

« Il y a une sorte de dépolitisation du problème alors qu’en réalité, il faut responsabiliser l’État », poursuit-il.

Dans cette logique, Jeff Cadichon recommande d’utiliser davantage les ressources internes et communautaires pour répondre aux besoins en matière de santé mentale.

« Mais à un moment donné, l’État doit assumer ses responsabilités », insiste-t-il.

Par ailleurs, le psychologue plaide pour la mise en place de politiques publiques cohérentes et adaptées aux réalités du pays.

« Il est nécessaire d’investir beaucoup plus dans la santé, en y consacrant une part budgétaire plus importante. Les ONG qui interviennent en Haïti doivent aussi reconsidérer le contexte dans lequel elles agissent, en privilégiant des interventions coordonnées inscrites dans une politique globale incluant la santé physique et mentale », estime-t-il.

Selon lui, si rien ne change, les conséquences pourraient s’avérer lourdes pour les personnes non accompagnées mentalement après une catastrophe.

« Malheureusement, les études réalisées dans le contexte post-séisme ont montré qu’une grande quantité de personnes n’a pas eu accès aux soins de santé mentale […] et cela a laissé des traces traumatiques », explique-t-il.

De surcroît, le psychologue mentionne plusieurs facteurs de risque persistants en Haïti, tels que la violence, le désespoir et la migration, qui favorisent la détresse psychologique.

« Les pressions socio-économiques sont également des facteurs de risque reconnus pour la santé mentale », ajoute-t-il.

En outre, il attire l’attention sur la situation particulière de la jeunesse haïtienne, qui reste selon lui la plus exposée.

« Les jeunes sont souvent très affectés par ces problèmes. Bien que toute la population soit concernée, le jeune reste un facteur de vulnérabilité psychologique », insiste-t-il.

Enfin, Jeff Cadichon souligne le rôle crucial des médias dans la sensibilisation et la promotion de la santé mentale.

« Les médias doivent en parler davantage, inviter des professionnels sur les ondes et contribuer à la psychoéducation. Ils ont ce rôle d’influencer dans le bon sens et de demander à l’État d’assumer sa responsabilité », conclut-il.

Ainsi, à travers ses propos, le psychologue met en évidence la nécessité d’une approche collective et durable pour faire de la santé mentale une priorité nationale, fondée sur la sensibilisation, la formation et une réelle volonté politique.

Notons que, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), plus d’un milliard de personnes dans le monde vivent avec un trouble mental, soit environ une personne sur huit. Plus précisément, un adolescent sur sept, âgé de 10 à 19 ans, souffre d’un trouble mental, tandis qu’une proportion significative d’enfants et d’adolescents présente des troubles anxieux ou dépressifs. Près de la moitié de ces troubles apparaissent avant l’âge de 14 ans. Les données globales restent imprécises, mais l’OMS estime que 359 millions de personnes souffraient de troubles anxieux en 2021 et 280 millions de dépression en 2019.

Par Youbens Cupidon © Chokarella

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