Face aux difficultés d’accès aux outils technologiques en Haïti, GIDEM mise sur la réalité virtuelle pour proposer des alternatives adaptées au contexte local. Deux ans après son lancement, la jeune structure explore des usages éducatifs, institutionnels et pratiques de la VR, tout en développant des dispositifs accessibles comme les visites virtuelles, les formations et les VR box en carton. À travers ces initiatives, l’équipe cherche à répondre à des besoins concrets : apprendre autrement, présenter des espaces à distance et offrir au public une première initiation à la technologie immersive.
Officiellement lancée le 20 mai 2023, la jeune structure GIDEM, dédiée à la réalité virtuelle, cherche à ouvrir une nouvelle voie dans l’écosystème technologique haïtien. Son C0-fondateur, Jean Yvenson Georges, évoque un parcours marqué par des obstacles, des remises en question et des convictions fortes. Dans une interview accordée à Chokarella, il retrace l’itinéraire qui a conduit à la création d’une entreprise dont la mission dépasse le seul cadre de l’innovation technologique.
Dès le début de l’entretien, il décrit l’identité de GIDEM : « GIDEM est une entreprise spécialisée dans la technologie de la réalité virtuelle. » Les services de la structure reposent sur une même intention : offrir au public haïtien un accès concret et abordable à une technologie souvent perçue comme coûteuse et exclusive.
Jean Yvenson Georges détaille les trois piliers actuels de l’organisation : les visites virtuelles, permettant aux entreprises de présenter leurs espaces en ligne ; la création de boîtes VR en carton, destinées à introduire les utilisateurs aux paramètres de la réalité virtuelle ; et une approche centrée sur la pédagogie et l’inclusion. « L’objectif global est de démocratiser la technologie de la réalité virtuelle en Haïti afin qu’elle ne soit un luxe pour personne », insiste-t-il, avant de rappeler que l’ambition est de transformer cet outil en levier de développement.

Origines du projet et structuration progressive
Pour expliquer comment GIDEM a pris forme, le fondateur revient sur un premier projet présenté lors du programme Creatic organisé par Banj, qui n’avait pas été retenu. « Le projet a commencé à germer lors d’un premier programme organisé par Banj », résume-t-il.
L’année 2022 constitue un tournant avec le programme D-Clic de l’OIF et Banj, où il est sélectionné pour une formation en réalité virtuelle. Il y rencontre Karine Paul, aujourd’hui directrice exécutive de GIDEM. C’est dans ce cadre qu’émerge une seconde version du projet, retenue parmi sept autres lors d’un appel portant sur la création d’une formation en premiers secours via casque VR. L’initiative n’aboutit pas, mais ouvre une réflexion sur l’identité de GIDEM.
Avec l’accompagnement de Marc Alain Boucicault, le positionnement de l’organisation se précise : « Nous avons progressivement bâti GIDEM que vous connaissez aujourd’hui. » L’équipe actuelle est composée de Karine Paul, directrice exécutive, Fritz Gérald Rosemond, lead designer, et Eliotson Eliazar Fontin, développeur full stack et responsable des opérations.

Pourquoi la réalité virtuelle ?
Le choix de se concentrer sur la technologie immersive s’appuie sur une analyse de son potentiel éducatif, institutionnel et économique. « Nous croyons qu’il s’agit d’une technologie capable de transformer profondément les modes de communication, d’apprentissage et d’exploration », explique-t-il. La capacité à « entrer dans un autre univers » sans se déplacer offre selon lui des opportunités pour l’éducation, la formation, la valorisation de services ou encore les visites immersives. Il observe les usages internationaux de la VR et estime qu’Haïti peut également en tirer parti : « S’il contribue au développement ailleurs, il n’existe aucune raison pour qu’Haïti ne puisse en bénéficier également. »

Trois réalisations majeures
Au cours de l’entretien, l’initiateur du projet identifie trois réalisations importantes. D’abord les visites virtuelles, utilisées par des organisations locales comme Banj. Ensuite, la formation à la manipulation des casques VR, qui a permis d’initier plus d’une centaine de jeunes. Enfin, les VR box en carton, pensées pour l’accessibilité et adaptées au contexte haïtien. « Ces produits sont pensés pour l’accessibilité, ce qui distingue GIDEM, c’est notre capacité à adapter la réalité virtuelle aux besoins spécifiques du pays », résume-t-il.
Parcours personnel et déclic initial
Licencié en gestion des affaires à l’INAGHEI, Jean Yvenson Georges situe la racine du projet en 2022, lorsqu’il manipule pour la première fois un casque VR. Il raconte une expérience qui l’a marqué : une application de laboratoire où il apprend des composants chimiques en les manipulant virtuellement. « À partir de ce moment, je n’ai cessé de réfléchir à l’immense potentiel de cette technologie », dit-il. Constatant les limites matérielles des écoles haïtiennes, il voit la VR comme une solution possible.
Il revient également sur deux moments marquants : la présentation du projet final D-Clic devant Patrick Attié, et le mentorat de Marc Alain Boucicault. « Avec MAB, rien n’est jamais suffisamment bon », raconte-t-il. Les retours, parfois difficiles, se révèlent utiles : « Sur beaucoup de points, il avait raison, nous avions de nombreuses lacunes. » Il cite aussi le soutien de Bloody Bordenave à Banj, dont les conseils ont aidé à restructurer GIDEM.
Il reconnaît des erreurs initiales dues à un manque de clarté, notamment des dépenses inutiles et des choix d’équipe inadaptés. Il en tire une leçon : « Il ne faut jamais entreprendre un projet avec des personnes impatientes car elles finiront par abandonner. » Aujourd’hui, dit-il, il croit profondément en son équipe.
Approches et perspectives
L’action de GIDEM se développe sur deux plans : technologique et économique. Techniquement, la structure souhaite introduire de nouvelles manières d’apprendre, de travailler et de créer. Sur le plan économique, elle fournit aux entreprises locales des outils modernes pour améliorer leur visibilité et optimiser leurs services. La question de l’accessibilité reste centrale : « L’accès à la réalité virtuelle doit être ouvert à tous », souligne-t-il. Les VR box et les formations s’inscrivent dans cette logique en réduisant les barrières techniques.
Les ambitions futures incluent des projets éducatifs, des initiatives sociales et des collaborations internationales. « L’un de nos principaux objectifs est de devenir le plus grand centre de technologie de réalité virtuelle en Haïti », affirme-t-il. Il souhaite également positionner le pays dans une dynamique d’innovation et créer davantage d’opportunités pour la jeunesse.

Une vision plus large
Interrogé sur ce qu’il souhaite que l’on retienne de GIDEM, ses réponses dépassent le cadre entrepreneurial. « GIDEM est bien plus qu’une entreprise, c’est une vision », dit-il. Il insiste sur le fait qu’il ne bénéficie d’aucun privilège particulier et se présente comme « un jeune qui avait une vision, qui a affronté les doutes et le manque de moyens, mais qui a refusé d’abandonner ». Il affirme que chaque progression du projet représente une étape importante. Si GIDEM parvient à inspirer « ne serait-ce qu’une seule personne », estime-t-il, alors une part de la mission est accomplie. « GIDEM n’est pas seulement une histoire de technologie, c’est un mouvement », conclut-il, convaincu du rôle que peut jouer l’innovation face au découragement ambiant.
Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella



