Un livre pour enfants s’ajoute aux engagements communautaires de Stéphanie Madison à la Gonâve

Auteure, journaliste et co-initiatrice du projet “Bibliothèque Jean Normil”, Stéphanie Madison mène depuis plusieurs années un travail constant pour offrir aux jeunes de l’île de la Gonâve un accès élargi à la lecture et, à travers elle, une meilleure compréhension du monde. Dans un entretien accordé à notre rédaction, l’activiste revient sur son parcours et sur l’enjeu de son premier ouvrage destiné aux enfants, « Découvre Mon Héritage, Trésor De la Gonâve ».

Elle explique avoir eu l’idée de ce livre à la suite d’un constat formulé lors d’un atelier qu’elle animait dans la ville. “Ce jour-là, j’ai été frappée de constater à quel point qu’ils avaient du mal à parler de la Gonâve, de leur zone d’origine, de leur culture. Ce silence m’a profondément interpellée”, dit-elle.

Au cours de cette rencontre, une question posée par un enfant a retenu son attention : « Pourquoi on n’en parle pas davantage de notre île ? ». Elle y voit un moment déclencheur. “Leur sincérité m’a bouleversée. J’ai compris que l’éducation culturelle ne pouvait plus attendre : il fallait donner aux enfants les outils pour s’aimer et valoriser leur terre”, ajoute-t-elle. À partir de là, Stéphanie Madison s’est fixé pour objectif d’écrire un livre “qui leur parle de leurs racines, de leur histoire, de leur identité, pour qu’ils sachent d’où ils viennent et qu’ils puissent en être fiers”.

Née le 11 novembre 1998 à La Gonâve, elle y a effectué l’ensemble de ses études classiques au Collège Saint François d’Assise. Elle s’est ensuite engagée dans plusieurs initiatives culturelles et éducatives. Plus tard, elle a rejoint Port-au-Prince pour des études professionnelles en communication à l’Institut Francophone de Journalisme en 2022. Elle n’a toutefois pas pu achever son cursus en raison de sa maternité. Aujourd’hui, elle place au cœur de son récit l’île qui l’a accueillie de nouveau après son séjour dans la capitale.

“Parce que c’est ma terre natale, celle de mes racines, de mes premiers souvenirs. Et je crois profondément que chaque enfant de la Gonâve mérite de se sentir acteur de son histoire, de son patrimoine. En plaçant l’île au cœur du récit, je voulais que cette œuvre devienne un miroir pour eux et un pont vers l’avenir”, raconte-t-elle.

Elle décrit son livre comme un outil mis au service d’un objectif éducatif et culturel. “Je souhaite transmettre la conviction qu’être jeune à la Gonâve, ce n’est pas un handicap, c’est une richesse à choyer”, précise-t-elle.

L’auteure s’adresse également à la population gonâvienne. “Il s’adresse d’abord aux enfants, parce qu’ils sont les futurs gardiens de cet héritage. Il s’adresse aux parents, car ils sont les premiers éducateurs”, affirme-t-elle, avant d’ajouter que l’ouvrage s’adresse aussi “à toute la société, car construire une culture partagée est un enjeu collectif et chacun joue un rôle dans la transmission”.

Pour elle, il est essentiel d’apprendre aux jeunes Haïtiens à identifier leurs racines. “Reconnaître ses racines, c’est reconnaître sa valeur. Quand un jeune se sent enraciné, il est plus confiant, plus engagé”, dit-elle. Selon elle, cette démarche est importante pour Haïti, et en particulier pour la Gonâve, car elle constitue un appui pour le développement, l’estime de soi et la citoyenneté.

Dans un contexte mondial en mutation, où les identités culturelles peuvent être fragilisées, elle estime que la culture représente un socle. “Elle symbolise la mémoire, l’identité, et le lien. Quand on la valorise, on refuse l’effacement. Elle devient résistance parce qu’elle affirme que nous existons dans nos différences, que nos récits ont leur place”, explique-t-elle.

Dans son livre, elle a construit un parcours initiatique autour d’une petite fille pour illustrer cette démarche. “J’ai imaginé une petite fille curieuse, issue de la Gonâve, qui découvre son île par étapes : la carte, le voyage, la rencontre, la nature”, confie-t-elle. Elle estime que cette aventure reflète son propre parcours ainsi que celui des enfants de l’île. “Il symbolise une montée vers la connaissance et la fierté”, souligne-t-elle.

Ce cheminement narratif repose sur une métaphore du retour à soi. “La métaphore centrale est celle du retour vers soi. Le voyage de la petite fille, ce n’est pas seulement géographique, c’est intérieur. Elle revient à ses racines, mais elle s’élève aussi. Elle découvre qu’en ayant une terre derrière elle, elle peut aller plus loin devant”, justifie-t-elle.

Le livre est accompagné d’illustrations destinées à soutenir la compréhension des enfants. Selon elle, ces images constituent un prolongement visuel du récit en permettant aux jeunes lecteurs de mieux ressentir et imaginer l’histoire. La poésie y occupe également une place importante. “Elle est l’alchimie des mots. Elle me permet d’exprimer l’invisible, de toucher l’âme. Dans ce livre, elle rythme les chapitres, elle chante l’île, elle rend la lecture douce et forte à la fois”, dit-elle.

L’auteure a aussi intégré une dimension écologique, estimant qu’elle est essentielle à la préservation de l’île. Elle évoque des gestes comme planter un arbre ou nettoyer une plage. “Parce que la Gonâve est fragile, transmettre le patrimoine, c’est aussi préserver la nature. Un livre pour enfants doit inviter à l’action, à l’engagement. Et ça commence ainsi”, affirme Stéphanie.

Elle insiste sur la nécessité de sauvegarder et transmettre les valeurs fondamentales haïtiennes aux nouvelles générations. Elle cite notamment “la solidarité, le respect de la nature, la dignité, l’amour de la terre, la créativité”. “L’héritage, c’est ce que l’on reçoit, ce que l’on vit, ce que l’on transmet. C’est un fil qui nous relie au passé, une responsabilité qui nous engage vers l’avenir”, poursuit-elle.

L’écriture de ce livre a aussi été pour elle un moment personnel. “Je me suis retrouvée petite fille de la Gonâve à nouveau. J’ai esquissé des souvenirs, j’ai revu des visages, j’ai renoué avec mon île.” Elle estime que ce travail s’apparente à une quête intérieure.

Elle évoque par ailleurs son attachement à La Gonâve et à son patrimoine. “C’est un foyer, une source de fierté, mais aussi un territoire fragile. Le patrimoine de l’île, son histoire, sa culture, sa nature a façonné ma vision du monde. J’ai grandi avec cette conscience qu’il fallait protéger et transmettre cet héritage”, déclare-t-elle.

En parallèle, elle poursuit divers projets destinés à la jeunesse. En 2023, elle a suivi une formation en photographie et juge avoir acquis une expérience significative malgré l’absence de diplôme. “Mon amour pour la communication et le journalisme m’a poussé à aiguiser ma connaissance dans le domaine audiovisuel. Par ailleurs, je suis extravertir, j’aime échanger avec les gens et les écouter narrer leur histoire, surtout leur parcours professionnel”, dit-elle.

En 2024, elle a lancé l’émission « Steph Madison Show », centrée sur l’histoire des formateurs de l’île. “Ce n’est pas seulement une émission, c’est une manière de revendiquer, une plateforme qui vise à valoriser la parole notamment celle des professeurs afin qu’elle puisse inspirer d’autre génération”, affirme-t-elle. L’émission a pris une place notable au niveau local, mais elle l’a temporairement mise en retrait pour se consacrer à l’entrepreneuriat et à un projet de réseau de bibliothèques sur l’île.

“L’objectif c’est de doter La Gonâve de plusieurs bibliothèques. Ce n’est pas un simple espace qui contient quelques livres, mais un espace qui symbolise l’espoir, les valeurs de l’apprentissage, de déconstruction des mythes, de guérison des traumatismes. Jusqu’à en avoir une île équilibrée en ressource humaine et technologie”, explique-t-elle.

Ce projet doit également rendre hommage au professeur Jean Normil, qui a marqué l’éducation locale durant près de cinquante ans. “J’ai fini par choisir son nom, suite à un échange avec le feu écrivain Frankétienne qui nous a conseillé de choisir une personne avec ce statut. Puis mon camarade Narcisse Girlfrantz, qui devra travailler en tant qu’un ingénieur sur le projet, m’a proposé le professeur Normil qui a refusé de quitter le pays malgré les opportunités qu’il a trouvé”, indique-t-elle.

Elle considère ce projet comme l’un des plus importants de sa vie. “Pour moi, il est comme ma vie. Et je le vois comme un flambeau que je vais passer aux leaders communautaires des autres générations, en vue de les montrer comment être reconnaissant face à ceux qui ont contribué dans leur évolution et de continuer le travail”, dit-elle.

Le projet fait toutefois face à des obstacles administratifs. “C’est cela qui nous empêche de commencer les constructions des édifices et les collecte de fonds pour l’initiative”, souligne-t-elle.

Pour elle, ce réseau de bibliothèques représente aussi un moyen d’offrir aux jeunes, en particulier aux filles, un accès plus large aux ressources éducatives et à des modèles inspirants. “Cette démarche va m’aider dans la poursuite de mes objectifs pour les habitants de l’île, en l’occurrence construire une société dans laquelle les livres sont accessibles à tous, d’où les enfants peuvent s’identifier dans les livres et les jeunes peuvent trouver leur estime de soi”, espère-t-elle.

Elle a également lancé en 2024 une petite entreprise destinée à répondre à certains besoins de la communauté. “Je les ai offerts des services de transactions mobile, de faire le plein d’essence ainsi que d’autres services qui permettent la communauté à rester connecté avec l’extérieur”, précise-t-elle.

Aujourd’hui, elle poursuit de nouveaux projets autour de la culture, de l’éducation et de la mémoire haïtienne. “Je travaille déjà à élaborer une série d’ouvrages jeunesse en plusieurs langues, destinés à diverses îles et régions d’Haïti. Je collabore également avec des écoles, des bibliothèques et des organisations culturelles pour faire de la lecture un acte communautaire”, conclut-elle.

Par Youbens Cupidon © Chokarella

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