Carel In The Morning : Nedgine Paul revient sur les 10 ans d’« Anseye Pou Ayiti »

La co-fondatrice et PDG d’Anseye Pou Ayiti, Nedgine Paul, œuvre depuis une décennie pour l’amélioration du système éducatif haïtien. À l’occasion du 10ᵉ anniversaire de l’organisation, elle était invitée de Carel Pedre dans l’émission « Carel In The Morning », diffusée ce vendredi 14 novembre, pour revenir sur les origines de sa structure et sur les difficultés rencontrées depuis sa création. 

 « Anseye Pou Ayiti » fonctionne avec une approche collective et pratique. Dans son programme, l’organisation encourage les apprenants à développer des méthodes plus efficaces pour améliorer le système éducatif sans le chambouler. “Nous voulons créer un système d’apprentissage où les élèves n’ont pas besoin d’apprendre le curriculum par coeur. En revanche, de faciliter cet apprentissage par des pratiques liées aux réalités des apprenants en invitant la population aux processus”, explique Nedgine Paul au micro de Carel Pedre.

L’organisation propose également des modules de formation en leadership. “Il y a des modules de leadership de soi qui montrent aux apprenants comment se former eux-mêmes pour devenir des leaders, et d’autres axés sur le leadership collectif. Cette dernière vise à implanter des initiatives collectives dans la communauté,” a-t-elle poursuivie.

Nedgine Paul

Si aujourd’hui « Anseye Pou Ayiti » compte un réseau d’environ 800 leaders communautaires et 133 écoles partenaires, ce n’était pas l’idée initiale de Nedgine. “En fait, je n’avais pas l’idée de créer une organisation. D’abord, je me voyais en tant qu’Haïtienne qui voulait contribuer au développement du système éducatif de son pays d’une manière ou d’une autre”, précise-t-elle.

Avant de se lancer, elle a passé environ quatre ans à échanger avec des acteurs du secteur éducatif. “Nous avons déduit qu’il n’est pas normal et que nous n’avons pas un système éducatif haïtien. Par conséquent, notre devoir, c’est de l’haïtianiser.”

Cette résolution est née de la constatation que les autorités avaient éliminé certaines matières, livres et pratiques destinés à permettre aux élèves, aux parents et aux personnels éducatifs de comprendre leur identité et leur rôle en tant que citoyens. “Une personne n’allait pas à l’école que pour lire, écrire puis passer un test, entre autres. Mais non, c’est pour comprendre votre identité, vos ressources et tout le pouvoir que vous avez en tant que peuple. Intentionnellement, ils ont enlevé tous ces aspects ; éducation civique et morale, la manière dont on enseigne l’histoire de notre pays”, souligne Nedgine Paul.

À la suite de nombreuses rencontres avec des citoyens, certains lui ont conseillé de réintégrer ces éléments manquants afin de re-haïtianiser le système éducatif. “Pour l’équipe d’Anseye Pou Ayiti, c’était notre objectif principal lorsque nous avons lancé notre organisation. Nous insistons également sur le fait de faire quelque chose de qualité qui peut transformer la vie des bénéficiaires”, précise-t-elle.

Carel Pedre

L’organisation a d’abord ciblé certaines villes dans les départements de l’Artibonite et du Centre, notamment Gonaïves, Gros-Morne, Mirebalais, Plateau Central, Hinche et Boucan-Carré. “Environ trois ans plus tard, nous observons des résultats positifs. Plus de 90 % des élèves et parfois 100 % dans certaines classes réussissent les examens finaux. De plus, ils ont commencé à développer une pensée critique, sont fiers de collaborer avec les autres et se sentent en sécurité”, note Nedgine.

Les formations dispensées par Anseye Pou Ayiti incluent des techniques pour aider les élèves à gagner en confiance. “Les élèves doivent comprendre que les professeurs sont des humains, non pas des robots qui vont les fouetter”, explique-t-elle. Pour elle, changer la manière de punir les élèves reste une priorité.

Dans une seconde phase du programme, l’organisation prévoit de développer des communautés modèles. “C’est ainsi que nous avons ajouté deux autres cursus, Parents Leaders et Directeurs Leaders, afin d’avoir trois pierres angulaires pour assurer que les élèves continuent à agir comme leaders et que tout le monde soit sur la même longueur d’onde”, affirme Nedgine Paul.

Le projet inculque des valeurs aux élèves, enseignants et directeurs. Selon la PDG, chaque bénéficiaire gagne en fierté après avoir réalisé un travail dans sa communauté. “Finalement, ils travaillent pour eux-mêmes s’ils croient que ce qu’ils font dans une salle de classe peut apporter un vent de fraîcheur à la société haïtienne en tant que citoyens engagés”, ajoute-t-elle.

Nedgine Paul

Le recrutement pour les formations de leaders se faisait initialement sur invitation. “C’était notre équipe de recrutement qui expliquait aux gens qui nous sommes. Mais au fil du temps, nous recevons beaucoup de demandes de participation de personnes intéressées”, raconte Nedgine. Aujourd’hui, l’organisation combine ces deux stratégies et lance son recrutement chaque mois de janvier, ouvert aux directeurs, parents et enseignants souhaitant devenir leaders.

« Anseye Pou Ayiti » a récemment ajouté une filière pour élargir son réseau de Coachs Pédagogiques, visant à intervenir dans d’autres régions au-delà de l’Artibonite et du Centre. Le programme inclut aussi des formations sur la demande des parents leaders, comme l’éducation sexuelle, pour répondre aux défis auxquels font face de nombreux jeunes.

La structure fait face à des défis économiques. Le personnel développe des stratégies adaptées à la réalité des communautés où il intervient. “Nous voulons que nos donateurs sachent qui nous sommes vraiment avant de s’embarquer avec nous. Nous sommes très catégoriques sur certains points ; la langue créole est primordiale pour nous, nous ne tolérons aucune forme de violence, nous travaillons avec des donateurs sur le long terme et nous avons pour objectif de collecter 30 % de nos ressources budgétaires dans le pays”, explique Nedgine.

L’insécurité affecte également le travail de l’organisation. En mars 2025, plusieurs dizaines de membres du personnel et d’écoles partenaires ont dû quitter leur domicile. “Nous sommes affectés directement dans plusieurs communes et villes, dont Gonaïves, Plateau Central et Mirebalais. Durant la fin du mois de mars, environ deux cents membres de notre réseau ont été chassés de leurs maisons”, précise-t-elle.

Carel Pedre et Nedgine Paul

Certains se sont réfugiés à Hinche, Lascahobas ou à Port-au-Prince. Pour Nedgine, ces leaders gardent une perspective constructive. “Il y a un leader qui me disait que c’est ce genre de situations qui définit la raison de notre existence”, conclut-elle.

Regardez l’interview complète de Carel Pedre avec Nedgine Paul sur la chaîne YouTube de Chokarella ci-dessous :

Par Youbens Cupidon © Chokarella

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