Le jeune producteur haïtien Perfect Beat, de son vrai nom Serge Bery Mares, est originaire de la Gonâve. Passionné de musique, il s’est progressivement imposé comme guitariste et ingénieur du son, spécialisé dans l’enregistrement, le mixage et le mastering. L’année 2025 a été particulièrement productive pour lui : entre janvier et octobre, il a signé, mixé et masterisé 26 titres pour des artistes de la scène haïtienne contemporaine, parmi lesquels Teddy Hashtag, L-Won et Thelo. Dans le cadre d’une interview exclusive, il revient sur son parcours.
Né et élevé à la Gonâve, Serge Bery Mares se définit aujourd’hui comme producteur, guitariste et ingénieur du son. Avant d’en arriver là, il fut un jeune passionné, hésitant, encouragé par son entourage. Son aîné Malachie Mares lui offre son premier clavier MIDI, tandis que ses amis Sky-C et Zo Polo lui insufflent la conviction qu’il pouvait transformer son loisir en métier : « C’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à y croire », confie-t-il.
Adolescent, il cherchait un jeu sur l’ordinateur de son frère. En ouvrant par hasard FL Studio, il découvre un passe-temps qui devient rapidement une vocation. « Je cherchais juste des jeux sur le laptop de mon deuxième grand frère Jean Gardy Mares », se souvient-il. Ce moment marque le début d’un long parcours fait de travail et d’apprentissage autodidacte.
En 2021, son parcours se trouve interrompu alors qu’il met temporairement la musique de côté pour se concentrer sur ses études, après la perte de son père. Cette disparition devient un tournant personnel et artistique : « Après sa mort, j’avais besoin de combler le vide, mais aussi de trouver une source de revenus », explique-t-il. Il s’inscrit alors sur la plateforme Fiverr, offrant ses services à des clients étrangers. Ce travail, motivé d’abord par la nécessité, devient un tremplin : il perfectionne son oreille, affine sa technique et équipe son matériel, indispensable pour bâtir la carrière dont il rêvait.
À partir de 2022, Serge publie sur Instagram de courtes vidéos où il interprète des pièces classiques à la guitare. Ces extraits deviennent ses cartes de visite. L’année suivante, une rencontre change la donne : Wendy, figure du rap haïtien, le contacte pour produire un titre solo, devenu un succès et marquant une étape décisive : « Le projet a reçu énormément de réactions. Cela m’a ouvert des portes et renforcé ma confiance », explique-t-il. Depuis, il circule parmi les artistes de la nouvelle génération, plusieurs lui faisant confiance pour sa précision, sa patience et son sens du travail.
Autodidacte, il s’est formé grâce à YouTube et aux forums spécialisés : « Je n’ai jamais eu de formation académique. J’ai appris seul, en observant ce que j’admirais ». Ses modèles sont choisis : Magic Touch pour la production instrumentale, Sousbit pour le mixage, Majesty et Bbo pour le beatmaking. Serge ne définit pas de style propre : « Je ne peux pas vraiment définir mon style. C’est un mélange de guitare classique, de konpa, d’afrobeat et de trap », dit-il. Ces genres lui permettent de bâtir une signature singulière identifiable dès les premières notes : « Je veux tracer ma propre voie, je n’ai pas choisi de suivre ce qui existe déjà », affirme-t-il.
Son processus de création se nourrit principalement d’improvisation. « Je n’ai pas de méthode fixe. Parfois c’est le rythme qui me guide, parfois une émotion ou une situation vécue », explique-t-il. La guitare reste son instrument de prédilection : il enregistre tout ce qui lui vient, sélectionne, affine, puis structure. Derrière chaque morceau, il cherche une cohérence entre spontanéité et rigueur.
« Tout commence par une simple idée, parfois une mélodie de deux ou trois notes », précise-t-il. De cette esquisse naît une architecture sonore minutieuse où chaque détail compte. Son approche est méthodique : il note tout, du choix des instruments à la structure finale. « Quand la pression monte, je découpe tout sur papier : intro, mélodie, transitions… »
Mais cette discipline ne le protège pas toujours de la frustration et du stress. « Certains artistes refusent de comprendre que la création demande du temps. Ils veulent des livrables rapides, alors que j’ai besoin de précision ». Malgré ces contraintes, il maintient son exigence : « Je ne cherche pas à savoir si le public aimera. Je fais ce que je ressens, le reste ne dépend pas de moi ». Le morceau solo avec Wendy reste pour lui une expérience marquante, artistique et humaine, prouvant qu’une production peut allier simplicité et profondeur.
Même lorsqu’il se consacre presque entièrement à son art, Serge reste curieux. Lecteur assidu, amateur de documentaires et de langues étrangères, il puise dans ces explorations une ouverture sur le monde qui nourrit ses créations musicales. « Je suis le plus inspiré quand je suis seul, en écoutant du jazz, du blues, du classique ou de l’afrobeat », confie-t-il.
Il admet mener une vie peu équilibrée : « Je ne cherche pas l’équilibre. Je suis obsédé par l’idée de devenir la meilleure version de moi-même à travers ce que je produis ». Ce perfectionnisme frôle parfois l’acharnement : « Si je passe une journée sans toucher à mon ordinateur, je me sens malade ». Malgré cette intensité, il reconnaît la contribution de son entourage : « Je suis fier de mes proches. Ils ont contribué à faire de moi ce que je suis aujourd’hui ». Il se réjouit également que le public haïtien prête désormais attention à ceux qui travaillent dans l’ombre des studios.
L’année 2025 a été particulièrement productive. Entre janvier et octobre, Serge Bery Mares a signé, mixé et masterisé vingt-six titres pour des artistes majeurs tels que Thelo, Wendy, L-Won, Teddy Hashtag ou Roos Laurore. Cette série comprend notamment « M Pat Konn Si Se Ou », « Sans Condition », « Mwen Konprann Ou », « Ou Ban M Lanmou » (avec Rutshelle Guillaume) et « Kè M Vin Pè Lanmou ». Chacun de ces morceaux porte l’empreinte sonore de Perfect Beat : une production soignée, des textures limpides et un équilibre entre chaleur et clarté.
À travers cette diversité de collaborations, Serge Bery Mares confirme sa place parmi les producteurs de sa génération en Haïti. Sa démarche, ancrée dans la patience et la recherche constante d’authenticité, reflète une conviction : il considère la musique non pas comme un métier, mais comme une quête. S’il refuse pour l’instant de parler de succès, il partage son ambition pour 2026 : « J’espère qu’en 2026, je pourrai produire encore davantage », dit-il.
Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella



