Carel In The Morning : Les éclairages de Me Vanessa Abdel Razak sur la propriété intellectuelle dans le cas “Zafem”

Invitée ce mercredi 5 novembre dans l’émission “Carel In The Morning“, l’avocate haïtienne Vanessa Abdel Razak, spécialiste en propriété intellectuelle, est revenue sur les aspects légaux entourant le litige entre le groupe Zafem Band et Zafem, la formation musicale dirigée par le guitariste Dener Ceide. À travers cette intervention, elle a rappelé l’importance de l’enregistrement du nom commercial en Haïti, une démarche essentielle pour protéger une marque et prévenir les conflits entre acteurs d’un même secteur.

« Un groupe peut enregistrer le nom de son entreprise si son propriétaire le souhaite, mais il n’y a aucune obligation. Cependant, s’il veut protéger son nom commercial, il doit le faire, mais l’enregistrement est territorial. Il peut le faire sur les marchés qu’il entend conquérir, ou le faire en respectant les procédures de la convention de Madrid pour que son nom soit légal dans tous les pays qui adoptent cette convention », a expliqué l’avocate Vanessa Abdel Razak.

Le 18 septembre 2024, une plainte a été déposée sous l’obédience du juge Brian Cogan au US District Court Eastern District of New York par Wiss Joseph et Marie Joseph, propriétaires de Zafem World Entertainment, contre Dener Ceide et Dener Ceide INC. Cette action vise à interdire l’usage du nom commercial Zafem par la formation du musicien, et à obtenir deux millions de dollars de dommages et intérêts pour utilisation non autorisée d’un nom de marque.

Vanessa Abdel Razak

Selon les données du United States Patent and Trademark Office (USPTO), les plaignants détiennent ce nom de marque depuis le 5 janvier 2021, à la suite d’un processus de légalisation initié en novembre 2019. Ils affirment l’avoir utilisé depuis 2015 pour organiser des activités à caractère culturel et de divertissement au sein de la communauté haïtiano-américaine.

De son côté, Dener Ceide a tenté d’enregistrer le nom de sa formation le 1er mai 2023, quelques jours avant la sortie de son premier album LAS. En février 2024, l’USPTO lui a notifié le rejet de sa demande pour trois motifs, dont l’existence d’une entité possédant déjà ce nom. Malgré une reformulation de sa requête le 17 mars 2024, celle-ci a de nouveau été refusée. Finalement, la demande a été officiellement abandonnée le 14 octobre 2025.

Le 17 septembre 2025, le juge Brian Cogan a rendu sa décision : Dener Ceide a été jugé coupable d’usage illégal du nom Zafem et condamné à cesser son utilisation tout en versant 1 million de dollars de dédommagement.

Carel Pedre

Le 30 octobre dernier, l’avocat du musicien a interjeté appel, cherchant un arrangement auprès du magistrat en charge du dossier. Toutefois, la partie plaignante, représentée par l’avocat de Wiss et Marie Joseph, estime que la décision de Dener Ceide d’enregistrer sa société dans un autre pays n’a pas de fondement légal.

Entre-temps, le musicien a entamé des démarches pour légaliser trois autres noms : Xafè, Zafèn et Zafèm (avec accent grave). « Le pourcentage pour que l’examinateur accepte cette requête est minime parce que la loi ne veut pas qu’il y ait de confusion », a précisé Me Abdel Razak.

Pour l’avocate, ce dossier pourrait éveiller la conscience du public sur la question de la propriété intellectuelle en Haïti, notamment dans le milieu musical. « Je crois que le moment est crucial, car maintenant à l’ère digitale lorsqu’on crée une marque ou une chanson, elle sera disponible partout dans le monde grâce à l’internet », a-t-elle souligné. Elle rappelle que l’absence de protection légale permet à n’importe qui d’utiliser une œuvre sans le consentement de son auteur.

Les lois relatives à la propriété intellectuelle diffèrent selon les pays, mais leur portée reste universelle. Vanessa Abdel Razak rappelle qu’en Haïti, la présence d’un avocat est obligatoire pour entamer un processus de légalisation d’un nom commercial, contrairement à d’autres pays où une telle procédure peut être effectuée sans représentation légale.

Carel Pedre et Me Vanessa Abdel Razak

Elle constate par ailleurs une faiblesse dans la protection des droits d’auteur sur le territoire. « Les lois que nous avons sur la propriété intellectuelle remontent à 1954, les textes relatifs aux brevets à plus de 100 ans », déplore-t-elle. Selon elle, le manque d’intérêt des autorités pour ces lois a de graves conséquences : « Certes, notre pays est souvent précurseur dans la ratification de plusieurs conventions internationales, mais à la fin nous ne sommes plus actifs », poursuit-elle.

L’avocate souligne également le manque de sensibilisation du public après l’adoption de nouvelles législations, ainsi qu’un déficit de ressources humaines spécialisées. « En Haïti, c’est le service juridique du ministère du Commerce qui gère la légalisation du nom commercial. En revanche, dans d’autres pays, il existe des institutions autonomes spécialisées pour cela », explique-t-elle.

Elle reconnaît néanmoins que certaines structures locales s’efforcent de combler ces lacunes, tout en regrettant l’absence d’engagement réel des autorités envers les créateurs. « Le pays a beaucoup de créateurs, c’est quelque chose que j’ai dit souvent, quand j’ai fait des plaidoyers pour des propriétés intellectuelles ou des artistes, musiciens, entre autres. L’auteure Yanick Lahens, qui a reçu le prix du roman de l’Académie française pour son œuvre Passagères de nuit, s’est obligée d’aller protéger son œuvre ailleurs parce qu’il n’y a pas une protection efficace pour eux en Haïti », a-t-elle indiqué.

Carel Pedre et Me Vanessa Abdel Razak

Vanessa Abdel Razak estime qu’il reste possible d’enregistrer une marque en Haïti, mais le processus demeure complexe. Elle déplore également l’absence de décisions judiciaires rendues dans des affaires liées aux droits d’auteur. « Il n’y en a pas, parce que c’est un domaine qui demande une spécialisation. Il faut qu’il y ait un juge qui maîtrise le domaine très bien », conclut-elle.

Regardez l’interview complète de Carel Pedre avec Vanessa Abdel Razak sur la chaîne YouTube de Chokarella ci-dessous :

Par Youbens Cupidon © Chokarella

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