Après la sortie de son premier projet solo, “AGO“, dévoilé le 17 octobre dernier, Naïemlee-Lenn Auguste, connue sous le nom de scène Lenny Auguste, s’est confiée à Chokarella. Originaire des Gonaïves et étudiante en musicologie à l’Université de Rouen Normandie, la jeune chanteuse évoque son parcours, ses blessures et sa foi dans la musique vodou, à travers un single qui marque le point de départ d’une aventure artistique profondément personnelle.
Pour Lenny Auguste, la musique dépasse la simple passion et constitue un langage vital. « Je suis une amoureuse de la musique donc, quand on me demande qui je suis, c’est à la première chose que je m’accroche », confie-t-elle. Née aux Gonaïves, elle a grandi avec un corps souvent malade, mais un esprit en quête de sens : « Je cherchais quelque chose à travers laquelle je pouvais vraiment me faire comprendre », se souvient-elle.
C’est la chanson “Kite m kriye” de Rutshelle Guillaume qui a allumé en elle la première étincelle. Ce moment de révélation a orienté la jeune fille vers une voie qu’elle ne quittera plus : « J’ai su que je voulais écrire et chanter ma propre vie et mes ressentis », dit-elle. À 14 ans, elle chante pour la première fois en public aux Gonaïves et comprend que son avenir passera par la scène.
Cependant, le parcours de Lenny n’a pas été linéaire. Elle évoque les blessures qui l’ont façonnée : « Certains m’ont énormément blessée et m’ont même donné envie d’arrêter parfois », admet-elle. Ces expériences nourrissent sa vision de l’art : « Je fais une musique que j’aime appeler ‘Musique Vodou’. Je ne chante pas que les loas, je chante mon peuple, notre manière de nous aimer, de vivre et de voir le monde. » Pour elle, la musique vodou est une expression de la vie haïtienne dans ses luttes, ses joies et ses contradictions.
Elle revendique également l’héritage d’artistes majeurs de la chanson haïtienne : Toto Bissainthe, Manno Charlemagne, Émeline Michel, Yannick Etienne, Lionel Benjamin. « Je n’ai pas grandi avec ces artistes dans les oreilles mais je me suis construite une identité grâce à eux », précise-t-elle. Plonger dans la mémoire collective lui a permis de trouver sa propre voix.
Le projet AGO, sorti le 17 octobre 2025, marque une étape de résilience pour Lenny Auguste. Derrière ce mot qui signifie « permis d’entrer » dans le rituel vodou, se cache un appel à la lumière après le deuil. L’année 2024 a été, selon elle, « la plus ténébreuse » de son existence, marquée par la perte brutale de son père.
De cette douleur est née une prose de guérison : « AGO est une chanson qui célèbre l’haïtien, le vodou et l’haïtien vodouisant. L’année 2024 était de loin l’année la plus ténébreuse de toute ma vie, j’ai perdu mon père dans des circonstances horribles, et aujourd’hui encore je ne m’en remets pas. Durant cette année, j’ai compris ce que c’était vraiment d’être une artiste à Port-au-Prince et j’ai aussi appris ce que c’était d’être seule. Le vodou était mon seul recours, à chaque fois que je sombrais, j’allumais une bougie, je me parfumais de la tête au pied et je discutais avec les seuls qui pouvaient m’aider à traverser cette étape, mes loas. Cette chanson est une célébration, et aussi ma façon d’être reconnaissante pour ce que le vodou apporte dans ma vie. »
Produit par JnJ Beats (Zéphir Jn Ronald), le titre mêle spiritualité et puissance rythmique. Sa texture sonore, entre chant cérémoniel et accents modernes, évoque le rabòday dans sa dimension la plus organique, pulsation urbaine et libératrice qui traverse la jeunesse haïtienne depuis plus d’une décennie. « AGO, c’est pour dire que je suis là, que je fais mon entrée dans l’arène et que je ne compte pas faire marche arrière », affirme-t-elle.
Avant AGO, Lenny Auguste a participé à diverses collaborations, façonnant sa voix au contact d’autres univers. Dès 2020, elle se fait remarquer avec Lanbouchi, en duo avec le rappeur 35 Zile, puis enchaîne les projets avec Bazoo, Malada, Nouvolib, ou encore le DJ Francis Mercier, avec qui elle signe Ayibobo, son plus grand succès à ce jour.
Sur scène, elle multiplie les performances aux côtés de Tafa Mi-Soleil, Jo-J, James Germain, Pawol Tanbou, notamment à l’Institut Français d’Haïti, où elle remporte en 2020 le Concours national de la chanson francophone. Mais ce parcours n’a pas été exempt d’obstacles. « Il a été très compliqué pour moi de sortir ma première chanson solo à cause de plusieurs difficultés professionnelles », confie-t-elle. Ainsi, AGO devient le symbole d’un retour à soi et d’une indépendance retrouvée.
Aujourd’hui, Lenny partage son temps entre ses études universitaires à Rouen et la promotion de son single. Elle reste intimement liée à son pays et à sa mission artistique. Un EP est en préparation, peut-être pour 2026 : « Cela fait bien longtemps que je travaille dessus. AGO n’en fait pas forcément partie, mais c’est le début de quelque chose », dit-elle.
Entre tambours et émotions, Haïti et la Normandie, Lenny Auguste incarne une génération d’artistes pour qui la musique vodou s’assume pleinement, tout en se mêlant aux sons contemporains. « Je crois que cette chanson est au tout début du parcours qu’elle a à faire », confie-t-elle. « Actuellement, j’essaie de me concentrer sur ma première année d’étude mais entre musique et étude, il n’y a pas mille chemins à faire selon moi. Donc je pense que je suis en plein début d’une carrière solo riche en projets. »
Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella



