La clôture de la 10e édition de la Quinzaine Internationale Handicap et Culture, portée par l’organisation non-conventionnelle Productions Théâtre Toupatou, s’est tenue le mercredi 15 octobre dernier au Centre Culturel Brésil-Haïti, dans la commune de Pétion-Ville. Cet événement, qui vise à créer un espace artistique inclusif pour valoriser la création des personnes en situation de handicap, s’est déroulé autour du thème “An n wè yon lòt jan”.
Pour cette activité de clôture, la structure a réuni quatre artistes non-voyants : la conteuse et comédienne Cindy Pierre Louis, la comédienne Remise Alexis, la musicienne Rachèle Alexis et le musicien Samuel Émile. Tous étaient accompagnés par le tambourinaire Louis Witchy pour livrer deux spectacles de variétés.
« La clôture s’est déroulée à merveille, nous avons su respecter le thème de l’activité qui était : contes et musique avec des artistes non-voyants. Et le public était dans le bain suite à leur réaction », confie le directeur artistique du festival, Johny Zéphirin, à notre rédaction.
Cette 10e édition, organisée dans un contexte difficile, visait à répondre aux besoins et aux aspirations des personnes handicapées. La structure porteuse de cette initiative n’a pas seulement proposé des rencontres riches avec d’autres acteurs du secteur culturel et des créations de qualité pour les participants et les artistes, mais elle a aussi transformé l’expérience en innovation en intégrant un atelier d’initiation au jazz destiné aux musiciens non-voyants, animé par le musicien Joël Widmaier.
« Cette rencontre entre Joël Widmaier et nos musiciens atteints de cécité se révèle d’une importance capitale pour le festival dans la mesure où elle permet de renforcer leurs capacités de création musicale et de créer un nouvel espace d’échange artistique inclusif et de pouvoir profiter des expériences de l’animateur », déclare Zéphirin.

Selon le responsable, l’organisation a mis sur pied cet atelier afin de cultiver les personnes non-voyantes dans la culture musicale du jazz. En vue de garder l’essence du festival tout en apportant une touche d’innovation, la structure a offert un spectacle remarquable : un atelier et la performance de rue Habiter l’invisible avec des artistes déficients visuels, dans l’optique de prouver que l’art peut être un outil puissant pour promouvoir l’inclusion et la diversité.
« C’est un autre projet artistique novateur de la 10e édition du festival. Nous avions l’habitude de faire du théâtre au festival. Mais cet atelier de théâtre de rue avec des artistes non-voyants demeure une innovation. Et c’était un pur moment de partage et de découvertes avec les passants sur la place Boyer et dans ses rues avoisinantes », poursuit-il.
Depuis 2014, l’organisation s’engage dans la promotion d’un théâtre contemporain conscient et professionnel dans le pays. À travers ce projet, qui se veut un nouvel espace d’expression artistique inclusif et d’émancipation, elle entend réunir toutes les diversités, toutes les minorités sociales intéressées par les rencontres culturelles et la création artistique.
« Ce projet contribue au renforcement de l’estime de soi des personnes en situation de handicap grâce à l’acquisition de compétences artistiques qui leur donneront l’occasion de s’exprimer et à la valorisation de leur créativité, offrant aussi des opportunités de revenus ; ce qui conduit, dans une certaine mesure, à leur autonomie financière », raconte Zéphirin.
En outre, grâce à ce dispositif, plus d’une cinquantaine de jeunes en situation de handicap physique et sensoriel ont été formés en théâtre, en danse, en peinture, en sculpture, en argile et en musique, en les faisant participer à des rencontres et des ateliers avec des artistes professionnels haïtiens et étrangers.

Par ailleurs, la diffusion de messages audiovisuels sur les réseaux sociaux par les responsables met en lumière les talents et les capacités des artistes vivant avec une déficience, contribuant à changer les perceptions négatives et à promouvoir une image positive des personnes en situation de handicap, en particulier des femmes.
« Ce festival novateur aborde une question sociale importante qui est l’inclusion des personnes en situation de handicap par la culture. Ce festival propose aussi aux artistes et aux créateurs non-handicapés un nouveau lieu d’exploration ainsi que de recherche artistique, car en travaillant avec de jeunes handicapés, cela leur permet de faire des découvertes et de nourrir, du coup, leurs travaux de création », affirme-t-il.
D’après ses propos, la culture peut contribuer à changer le regard de la société sur le handicap, d’où le thème retenu pour cette 10e édition “An n wè yon lòt jan”. À travers cette activité, la structure lance une invitation au public à une immersion dans la culture artistique et littéraire des personnes atteintes de cécité, tout en attirant l’attention de la communauté sur les obstacles rencontrés dans le processus d’inclusion.
« L’idée consiste à mettre en avant la capacité de production des personnes en situation de handicap en guise de sa déficience. Il faut travailler de manière à leur donner leur place dans les industries créatives et culturelles haïtiennes en passant, bien sûr, par la formation », estime-t-il.
De plus, Zéphirin observe qu’il y a des transformations à entreprendre pour que la culture haïtienne devienne pleinement inclusive.
« L’État haïtien doit définir une politique culturelle inclusive, impliquer dans la formation artistique des jeunes en situation de handicap, veiller à la construction d’infrastructures culturelles répondant aux normes d’accessibilité et subventionner les programmes culturels inclusifs, pour ne citer que ceux-là », conseille le directeur.
Toutefois, il pense que les opérateurs culturels ont aussi un rôle crucial à jouer dans cette transformation. En proposant des initiatives conscientisantes et inclusives, ils constituent une force de pression pour pousser l’État à assumer ses responsabilités envers toutes les minorités sociales.

Dans ce sens, Productions Théâtre Toupatou a déjà posé la première pierre à travers sa contribution à l’établissement d’un État de droit et inclusif. Elle offre des emplois à la majorité des artistes en situation de handicap qui ont été formés par la structure depuis environ sept ans.
« Ils comprennent très bien la démarche, les objectifs du festival et ce qu’il défend comme cause. Ils collaborent à différents niveaux dans le projet : administratif, logistique, communication et création artistique », explique Zéphirin.
À ce stade, la Quinzaine est devenue un symbole de diversité et d’unité dans le paysage culturel haïtien, car elle lutte contre la marginalisation des artistes en situation de handicap dans les projets et programmes culturels.
Selon le directeur, auparavant, les artistes handicapés ne participaient pas aux résidences artistiques ni aux festivals. Les textes poétiques, romans ou pièces de théâtre n’étaient pas imprimés en braille, et il n’existait pas assez de plaidoyer pour la présence d’interprètes en langue des signes dans les institutions et programmes culturels.

« Le secteur culturel haïtien ne fait pas suffisamment la promotion pour l’inclusion des artistes en situation de handicap. D’où la nécessité de fonder un espace culturel alternatif, inclusif, qui souhaite réunir toutes les diversités. De plus, travailler avec les personnes en situation de handicap exige une autre approche méthodologique et des techniques particulières en termes d’accompagnement. Car on ne dirige pas un artiste non-voyant de la même manière qu’un artiste sourd », avance-t-il.
Les organisateurs affirment leur volonté de poursuivre la promotion de ces talents en augmentant le nombre d’artistes formés et en participant à la déconstruction des clichés et des stéréotypes liés à la déficience.
« Donc, grâce à ce projet, beaucoup plus de personnes en situation de handicap vont continuer à fréquenter les institutions et les espaces culturels à Port-au-Prince comme dans d’autres villes du pays », souhaite Zéphirin.

En somme, l’organisation espère que ce projet culturel inclusif devienne un patrimoine national et qu’il continue de favoriser la mobilité des artistes sur la scène nationale et internationale.
« La vision derrière ce projet consiste à faire la promotion de la culture inclusive et accessible à tout le monde, notamment aux personnes en situation de handicap », conclut le directeur artistique.
Par Youbens Cupidon © Chokarella



