Le sculpteur haïtien Woodly Caymitte, connu sous le nom de Filipo, a reçu la médaille de Vermeil de la Société Académique Arts-Sciences-Lettres de France, le samedi 11 octobre. Cette distinction consacre la qualité de son travail, son engagement artistique et l’impact de son œuvre à l’échelle internationale.
Cette récompense figure parmi les distinctions les plus importantes décernées par cette institution française à des personnalités ayant apporté une contribution notable à la culture, aux arts ou à la vie publique. Selon Filipo, « c’est pour mon engagement au niveau de la sculpture sur des sujets exceptionnels, des formations avec des non-voyants, des jeunes dans les bidonvilles surpeuplés », précise-t-il.
Cette reconnaissance marque une étape importante dans son parcours artistique après plusieurs années d’efforts. « J’ai beaucoup travaillé pour gagner ce diplôme et la médaille, c’est une victoire bien méritée à mes 13 ans de carrière », indique Woodly Caymitte.
Pour obtenir cette distinction, il dit avoir bénéficié du soutien de plusieurs personnes, dont ses professeurs et mentors Ludovic Booz, Philippe Dodard, Modesto Ramón Concepción, Gabriel Raoul Cisnero Báez, ainsi que de son association Klorat B’izart. « Je dédie la médaille à mes amis, ma famille, à l’art, à la culture, à mon Génie, à tous ceux qui ont cru en moi, en général à Haïti », poursuit l’artiste.
Sculpteur contemporain au style classique, Woodly Caymitte conçoit son art comme un outil de préservation de la mémoire collective et historique. Il a découvert cette vocation en 2010, après le séisme qui avait frappé le département de l’Ouest.
Entre 2011 et 2015, il a poursuivi des études en arts plastiques à l’École Nationale des Arts (ENARTS), où il a obtenu son diplôme avant d’y enseigner. Il a ensuite séjourné en France à la Fonderie des Cyclopes, puis à l’Université des Arts de Cuba, afin d’approfondir sa maîtrise du bronze et des techniques modernes de sculpture.
« J’ai enrichi ma pratique artistique à travers de nombreuses expériences internationales qui ont nourri un style à la fois singulier et porteur de sens. Alliant pédagogie, créativité et conscience historique, j’ai développé une démarche où l’art devient un vecteur de transmission, de réflexion et de résilience », explique-t-il.

Membre du groupe Klorat B’izart, il estime que sa carrière est marquée par des œuvres qui s’inscrivent dans un devoir de mémoire. « En 2019, j’ai réalisé à Bordeaux la statue de Modeste Testas, une esclave du XVIIIe siècle. Cette sculpture en bronze de 1,74 mètre ne se contente pas de commémorer une figure oubliée de l’histoire : elle invite à une réflexion collective sur l’héritage de l’esclavage et la reconnaissance des mémoires occultées », affirme-t-il.
Il a également façonné des bustes de figures telles que George Floyd, exposé au Museum of Contemporary African Diasporan Arts (MoCADA) à New York, ainsi que ceux de Jean-Jacques Dessalines et du roi Henri Christophe, installés dans le salon diplomatique de l’ambassade d’Haïti à Washington, D.C. « Ces réalisations témoignent de mon engagement à célébrer et honorer les grandes figures de l’histoire des peuples noirs », renchérit Filipo.
En 2024, il a dévoilé à La Rochelle, en France, une statue en bronze de deux mètres représentant une esclave nourrice allaitant un enfant blanc, tandis que son propre fils, à ses pieds, semble privé d’affection. « Par cette composition saisissante, je mets en lumière la complexité des rapports humains dans le contexte esclavagiste – une thématique encore lourde de résonance dans les débats contemporains », explique-t-il.
Malgré la reconnaissance dont il bénéficie à l’international, Woodly Caymitte reste attaché à la réalité haïtienne. Il poursuit des actions de développement culturel et social parallèlement à sa carrière. « Je suis porté par une volonté de transmission, j’anime des ateliers de sculpture destinés aux enfants et aux jeunes issus de quartiers défavorisés, notamment dans les bidonvilles surpeuplés », confie-t-il. « Le rêve, c’est de former des jeunes sculpteurs pour tenir le flambeau. »

Dans cette démarche, il affirme vouloir promouvoir une culture accessible et ouverte. Ses créations utilisent l’argile, les métaux comme l’aluminium et le bronze, la fibre de verre, la résine et le bois, afin de préserver la mémoire de ceux qu’il considère comme des héros.
Toutes ses œuvres, dit-il, ont un point commun : NANM, un concept spirituel qu’il définit comme la découverte de soi et la capacité à orienter les autres vers le bien. « La spiritualité me fait travailler mon âme, ça me donne de la sagesse et du recul dans ce monde robotique. Il me plonge dans l’univers et me permet de sentir des vibrations et me donne le droit à poser des questions et proposer des choses NANM », insiste-t-il.

Entre passion, engagement social et spiritualité, Woodly Caymitte poursuit un parcours ancré dans la mémoire collective. Il conclut avec un message destiné aux jeunes artistes : « Parlez peu, travaillez sans regarder l’heure, rien ne vous empêche de rêver grand. C’est un métier qui n’est pas facile, ça demande du talent, du courage et de la passion. »

Par Youbens Cupidon © Chokarella