Lesly Lalanne et MatHaïti : repenser l’enseignement des mathématiques en Haïti

Chaque 5 octobre, la Journée mondiale des enseignants rend hommage à celles et ceux qui, à travers le monde, font de la transmission du savoir une mission de vie. En Haïti, cette célébration prend une résonance particulière, car le métier d’enseignant y exige à la fois résilience et conviction. Dans ce contexte, Lesly Lalanne se distingue par son parcours singulier, à la croisée des sciences et de la pensée. Enseignant de mathématiques et de philosophie, il est également le fondateur du projet éducatif MatHaïti, une initiative qui promeut une pédagogie ancrée dans la réalité haïtienne et ouverte à la créativité.

Ancien élève du Lycée National de Pétion-Ville (LNPV), Lesly Lalanne a suivi un double parcours universitaire : la topographie à la Faculté des Sciences (FDS) et les mathématiques et la philosophie à l’École Normale Supérieure (ENS). Aujourd’hui, il enseigne dans plusieurs établissements, dont le Lycée Benoît Batraville (LBB), le Collège Mixte de Pétion-Ville (CMPV), ainsi que dans deux institutions universitaires, Espoir de Calvary Chapel (UECC) et Yahvé Nissi (UNYN).

Depuis treize ans, il transmet son savoir avec constance. « L’enseignement dépasse largement le cadre d’un simple métier », confie-t-il. « C’est avant tout une passion, un engagement profond envers la transmission du savoir et le développement de l’esprit critique. Enseigner, c’est contribuer à la construction de l’être humain dans toutes ses dimensions intellectuelle, morale et sociale. » Pour lui, enseigner ne se réduit donc pas à une profession ni à un simple transfert de connaissances. « Avant tout une passion, un engagement profond envers la transmission du savoir et le développement de l’esprit critique », insiste-t-il. Ainsi, l’acte d’enseigner devient une œuvre de formation intégrale de l’être humain, où s’articulent les dimensions intellectuelle, morale et sociale. « Former des citoyens éclairés capables de réfléchir, d’agir avec discernement et de transformer positivement leur société », ajoute-t-il, résumant sa philosophie pédagogique par cette formule : « Enseigner, c’est semer la connaissance pour faire éclore la conscience. »

Son choix des mathématiques, souvent perçues comme une discipline difficile, relève d’une réflexion ancienne. « J’ai choisi les mathématiques parce que, au-delà de leur réputation de discipline difficile, elles représentent pour moi le langage de la rigueur, de la logique et de la clarté de pensée. » Depuis l’école, il entretient un lien intime avec cette matière qu’il décrit comme un univers d’harmonie et de cohérence : « On y voit se dérouler une série de raisonnements solides, où tout s’enchaîne avec harmonie. C’est une beauté pure de faire des mathématiques, un plaisir intellectuel qui révèle la cohérence du monde. »

Pour lui, les mathématiques ne sont pas qu’un exercice de calcul, mais une école de pensée. « Ainsi, j’ai jugé qu’enseigner les mathématiques, c’est un moyen de transmettre aux jeunes, en particulier aux jeunes Haïtiens, le goût du raisonnement clair, du discours fluide et de la rigueur scientifique. » Dans cette démarche, il perçoit une mission humaniste : « C’est aussi une manière de les inviter à produire, à créer, et à croire en leur propre capacité de comprendre et de transformer leur réalité à travers la science. »

Malgré les obstacles, ce qui le pousse à continuer, c’est sa foi en la jeunesse et en l’éducation. « Chaque élève qui progresse, qui découvre sa valeur, qui apprend à penser par lui-même, représente pour moi une victoire. » Pour lui, la salle de classe est un espace d’espoir et de résistance, où l’on peut semer des idées et éveiller des consciences. Il identifie deux principaux facteurs de difficulté pour les élèves face aux mathématiques : leur abstraction et la barrière linguistique. « On enseigne les mathématiques dans une langue, le français, qui n’est pas toujours familière aux élèves. Cela crée une distance entre le savoir et la compréhension. » Selon lui, enseigner en créole rendrait la discipline plus accessible et intuitive. De plus, il plaide pour une pédagogie contextualisée, fondée sur des exemples tirés de la vie quotidienne, afin de relier théorie et réalité.

Pour rendre les mathématiques attrayantes, il développe une approche pragmatique. « Je pars toujours de la réalité des élèves. Je montre que les maths ne sont pas que des formules, mais un langage pour comprendre la vie. » Cette démarche l’a conduit à créer « Kaye Matematik », un outil d’apprentissage original pour organiser les notes et les idées des élèves. Il privilégie également l’usage du créole dans ses explications, convaincu que la langue maternelle libère la compréhension. Son enseignement repose sur une pédagogie empathique : « Je me suis toujours fait l’ami des apprenants, ce qui me permet de mieux les comprendre et de créer un climat de confiance propice à l’apprentissage. »

Au fil des années, il a beaucoup appris sur ses élèves, le système éducatif haïtien, mais aussi sur lui-même. « J’ai compris que chaque jeune a un potentiel immense, mais que ce potentiel ne peut s’exprimer pleinement que si l’on adapte l’enseignement à sa réalité. » Pour lui, la clé réside dans la bienveillance et l’accompagnement : « Beaucoup d’élèves sont capables de réussir si on les guide avec patience, si on leur montre la pertinence des connaissances et si on leur donne confiance en eux. » Il souligne néanmoins les limites du système : « Le système présente de nombreux défis : manque de ressources, classes surchargées, barrières linguistiques et parfois découragement. » Malgré tout, il note que la curiosité et l’envie d’apprendre demeurent, et qu’un enseignant motivé peut faire une réelle différence.

L’enseignement, confie-t-il, l’a transformé : « C’est une école de patience, d’humilité et de créativité. Il m’a appris à m’adapter, à innover, à trouver des méthodes pour que le savoir devienne vivant et accessible. » Pour lui, la réussite se mesure au progrès des élèves : « Ce n’est pas seulement transmettre un savoir, mais voir les élèves grandir, réfléchir et croire en eux-mêmes. » Il insiste sur les qualités essentielles d’un enseignant : patience, écoute, créativité et empathie. « Il doit être empathique, encourager ses élèves, comprendre leurs difficultés et les aider à croire en eux-mêmes. Pour ma part, je me suis toujours fait l’ami des apprenants, ce qui me permet de mieux les comprendre et de créer un climat de confiance propice à l’apprentissage. » Et lorsque l’un de ses élèves comprend enfin une notion complexe, il confie : « C’est un mélange de fierté et de joie, comme si j’avais partagé une lumière qui s’allume dans l’esprit de l’élève, et je dis : gloire à Dieu ! »

Fondé en 2013, MatHaïti vise à promouvoir les mathématiques et les sciences en Haïti par une approche ludique et accessible. « Nous voulions que les jeunes Haïtiens voient les mathématiques comme un outil vivant, concret et utile, et non comme une matière abstraite et inaccessible. » Le projet combine ateliers, ressources pédagogiques, événements scientifiques et accompagnement personnalisé. « Ces ouvrages reflètent ma volonté de faire des mathématiques une expérience vivante et créative, et d’inciter les élèves à apprendre en s’amusant et en réfléchissant. »

Dans la même logique, Lesly Lalanne a écrit plusieurs ouvrages pédagogiques : Psycho-Math Jeu, qui combine psychologie et mathématiques par des jeux ; MatHaïti, mêlant jeux et histoires mathématiques ; et Dramath, qui relie littérature antique et mathématiques. La mission de MatHaïti, explique-t-il, est « rendre les mathématiques accessibles, vivantes et significatives pour les jeunes Haïtiens ». Cette philosophie repose sur trois piliers : apprentissage concret et contextualisé, approche ludique et créative, et accompagnement personnalisé.

Pour rendre la discipline attrayante, MatHaïti multiplie les initiatives : ateliers, cours pratiques, ressources innovantes comme le « Kaye Matematik », événements scientifiques, compétitions, projets interdisciplinaires et mentorat. « MatHaïti n’est pas un projet individuel. Je travaille avec une équipe d’enseignants et de collaborateurs, chacun apportant son expertise. Ensemble, nous créons des ateliers, des ressources et des activités pour rendre les mathématiques vivantes et accessibles aux jeunes Haïtiens. »

Malgré l’engagement de l’équipe, Lesly Lalanne note les obstacles : manque de ressources pédagogiques et technologiques, barrière linguistique et difficulté à toucher tous les jeunes. Néanmoins, il reste confiant : « Malgré tout, la curiosité des élèves et l’engagement de notre équipe nous permettent de continuer à avancer et à améliorer le projet. » L’avenir de MatHaïti vise à élargir les ateliers, toucher davantage d’élèves et lancer des concours pour stimuler créativité et raisonnement. « L’objectif reste de rendre les mathématiques vivantes, accessibles et motivantes, grâce au créole, aux jeux, aux histoires et aux outils innovants. »

Le « Kaye Matematik », issu de MatHaïti, se concentre sur l’organisation des apprentissages et la structuration des notes. « Ce projet propose une méthode simple et pratique, adaptée à la réalité haïtienne, qui permet aux jeunes de lier abstraction et vie quotidienne, et de transformer la difficulté en compréhension. » Enfin, il adresse un message d’encouragement : « Aux jeunes Haïtiens qui pensent que “les maths, ce n’est pas pour eux”, je voudrais dire : les mathématiques sont pour tous. Avec de la patience, de la pratique et de la persévérance, chacun peut comprendre et réussir. » Il les invite à voir les mathématiques comme un outil pour comprendre le monde, créer et résoudre des problèmes : « Avec du travail et un accompagnement adapté comme à travers MatHaïti et Kaye Matematik, vous pouvez dépasser vos peurs et découvrir la beauté et le plaisir des maths. »

Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella

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