De Grande-Désdunes à la Floride, le parcours musical de Zo Manno

Né à Grande-Désdunes, dans le département de l’Artibonite, Emmanuel François, connu sous le nom de scène Zo Manno, est chanteur, compositeur et arrangeur. Installé aujourd’hui en Floride, il revient sur son parcours et sa vision de la musique dans une entrevue accordée à Chokarella.

D’abord, son histoire prend racine dans sa commune natale, au sein d’une famille nombreuse. « Je suis né le 21 janvier 1995, à Duclos, dans la commune de Grande-Désdunes. Je suis le dernier d’une fratrie de six enfants », raconte-t-il, en précisant que sa mère est décédée en février 2019. Très tôt, son quotidien est marqué par deux repères : l’église et l’école. « Mes parents ont toujours été stricts avec moi, surtout concernant mes amitiés et ma participation aux services religieux », confie-t-il. Pour s’assurer de sa présence aux offices, ses parents l’interrogeaient systématiquement : « Qui dirigeait le service aujourd’hui ? Qui a prêché ? Et quel était le thème du message ? »

En parallèle, l’enfant s’attache aux jeux et au football, mais les blessures sont fréquentes : « Je me suis souvent fracturé des os, et ma mère me battait souvent à cause de ça », dit-il. Toutefois, en 2014, une situation personnelle l’oblige à interrompre temporairement ses études. Contraint de rester à la maison, il compose alors sa première chanson, Tout glwa pou Bondye, à seulement 9 ans. « Je ne voulais pas que mes camarades me voient, alors je restais enfermé. Cette chanson m’est venue pendant cette période », explique-t-il.

Ensuite, c’est dans le cadre religieux qu’il développe ses premières expériences artistiques. « Mon parcours artistique a commencé à l’église dès mon plus jeune âge. C’est à travers les conventions de jeunesse, les cellules de prière, les activités dominicales que j’ai compris ce que je portais en moi », se souvient-il. Il alterne alors entre chant et rap, enregistrant ses morceaux sur une petite cassette radio : « Avant même de savoir bien écrire, j’enregistrais mes chansons. Ensuite, je les mémorisais pour aller les chanter dans la rue ou à l’église. » L’envie de jouer d’un instrument le conduit aussi à la guitare : « Je suis allé voir mon frère Maestro Watson pour qu’il m’apprenne. Puis j’ai demandé à Maestro Pierre Jacques de m’aider à en obtenir une. C’est là que j’ai commencé à apprendre mes premiers accords. »

Progressivement, il élabore sa conception de la musique : « La musique, c’est une thérapie. C’est de l’amour. C’est tout ce dont j’ai besoin, et tout ce que je ne voudrais pas perdre. » Il la définit également comme une source de vie : « La musique, c’est la joie du cœur et une richesse que tout le monde devrait avoir. » Concernant les styles, il varie selon le message : « Quand je parle d’Haïti ou de sujets engagés, j’utilise le reggae ou le hip-hop. Pour les morceaux d’amour, je privilégie les styles afro, kompa ou dancehall. Mais je fais du gospel, de l’amapiano ou même du drill, selon les besoins. » Il résume sa démarche en trois mots : « Émotion. Passion. Formation. »

Par ailleurs, ses premières inspirations lui viennent de sa fratrie : « Mes frères jouaient à l’église et dans les croisades. C’est eux qui m’ont transmis l’amour de la musique. » Parmi ses références actuelles, il cite Wyclef Jean, mais aussi Dener Ceide, Réginald Cangé, Wendy, Richie et Frè Gabe.

Le 30 décembre 2018 marque un tournant : « Ce jour-là, j’ai reçu plusieurs trophées honorifiques comme meilleur chanteur et chanson de l’année pour la ville des Gonaïves. » Cette année-là, il devient aussi le premier artiste de l’Artibonite à atteindre un million de vues sur YouTube avec son morceau Lè Joum Nan. Plus récemment, en décembre 2023, il publie son premier album, Nou Legal, composé de 14 titres et cinq vidéoclips. « Je ne m’attendais pas à ce que ça aille aussi vite. Dès sa sortie, l’album s’est classé numéro 1 sur iTunes et Audiomack », précise-t-il.

Son processus créatif est méthodique. « Je prends le temps. J’agis avec précision. Je pense à mon public, j’analyse le contexte, le moment. J’assume chaque choix », dit-il. Certaines chansons naissent de ses rêves, d’autres d’une conversation ou d’une observation sociale. « Il y en a que je crée de toutes pièces, juste parce que je sais que des gens vivent ce genre de situation. »

Il décrit aussi sa routine d’écriture : « Il me faut le silence. Je dois être seul. Mon téléphone en mode avion. Je cherche d’abord une mélodie, puis les paroles viennent. Et je ne donne un titre que lorsque la chanson est terminée. » Ses thèmes principaux sont constants : « L’amour et les réalités du pays. Ce sont ceux qui reviennent le plus souvent dans mon travail. »

Aujourd’hui, il estime être à mi-parcours : « Il y a des choses que j’ai rêvé de faire, et que j’ai accomplies. D’autres restent à réaliser. Je travaille pour ça. » Son deuxième album est en préparation : « De nouvelles chansons et vidéos sortiront dans les mois à venir pour annoncer le nom de ce nouvel opus. » Il annonce également un projet de film inspiré de Tout glwa pou Bondye ainsi qu’un autre texte musical, « une histoire fictive, mais centrée sur l’amour », sur lequel il a beaucoup travaillé les arrangements.

Deux collaborations potentielles l’ont aussi marqué : « En 2018, le manager de King Posse m’a proposé un remix avec eux. Puis en 2022, le manager des Chachou Boys m’a proposé de rejoindre le groupe. » Pour autant, il insiste sur ce qui lui tient le plus à cœur : « Je suis fier quand on me cite parmi les artistes de cette génération qui écrivent bien. Je suis fier aussi des messages que je reçois de politiciens, de pasteurs, de prédicateurs qui me félicitent pour mon travail. »

En dehors de la musique, Emmanuel François cultive d’autres centres d’intérêt : « J’aime la technologie. Les jeux vidéo. Les films d’horreur. La lecture. L’investissement. » Il a même créé son site, www.zomannomusic.com, où il vend des produits dérivés et échange avec son public.

Enfin, il exprime le message qu’il souhaite laisser à travers ses œuvres : « Je veux que les gens comprennent que je suis exactement la personne et l’artiste qu’ils pensent que je suis. Honnêteté, sagesse, persistance, constance », affirme-t-il. Avant de conclure : « Dans chacune de mes chansons, je voudrais qu’on perçoive la cohérence et la progression du message. Je ne fais pas de la musique par hasard. »

Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.