Grandi à Cité Soleil, l’une des communes les plus défavorisées d’Haïti, Gladimy Jean consacre depuis près d’une décennie son énergie à redéfinir l’image du pays. Entrepreneur et activiste, il a cofondé « Le Paradis Haïtien » (LPH), une organisation qui associe tourisme, patrimoine et culture pour valoriser la richesse et la résilience haïtiennes. Entre récits personnels, influences historiques et projets communautaires, il raconte son engagement pour ce qu’il appelle le « narratif haïtien ».
Grandir dans ce quartier a profondément marqué son parcours. Gladimy Jean le dit sans détour : « Grandir à Cité Soleil a profondément marqué ma vie et façonné ma vision du monde. Cité Soleil est souvent perçu uniquement à travers le prisme de la pauvreté et de la violence, mais pour moi, c’est avant tout un lieu de résilience, de solidarité et d’humanité. »
Il se souvient d’une jeunesse faite de défis. « Mon enfance m’a confronté très tôt aux défis sociaux, économiques et sécuritaires. Ces réalités auraient pu m’abattre, mais elles ont plutôt réveillé en moi un désir ardent de changement », explique-t-il. Ce désir l’a conduit à porter une conviction : « Pour transformer notre avenir, nous devions d’abord changer le narratif qui entoure nos communautés. »
L’une des leçons essentielles tirées de son environnement reste la valeur humaine et l’esprit de « konbi »t, cette solidarité propre à la culture haïtienne. « Cité Soleil m’a appris que chaque être humain a une valeur et un potentiel qui dépassent ses conditions de naissance. C’est là que j’ai découvert la force du Konbit, cet esprit de collaboration et de solidarité qui unit les Haïtiens. »
Pour concrétiser cette vision, Gladimy Jean s’est orienté vers des études en planification et économie appliquée au Centre de Technique et d’Économie Appliquée (CTPEA). À ce bagage, il ajoute d’autres formations, notamment en gestion de projet de développement et en tourisme.
Cette approche lui donne un cadre structuré pour penser ses projets. « Ma formation m’a appris à voir au-delà des problèmes immédiats pour comprendre les dynamiques systémiques qui les génèrent », dit-il. Elle l’a aussi amené à privilégier l’évaluation, les données et l’impact mesurable afin de s’attaquer aux causes profondes des difficultés.

Rebâtir le « narratif haïtien »
Rapidement, il en arrive à la conclusion que le développement ne se limite pas aux infrastructures. Pour lui, reconstruire l’imaginaire collectif est un levier essentiel de changement. C’est ainsi qu’il cofonde en 2018 Le Paradis Haïtien (LPH).
L’initiative repose sur une conviction claire : le « narratif haïtien » existe déjà, mais il doit être renforcé. « Je suis convaincu qu’il n’est pas nécessaire d’inventer un nouveau narratif, puisque nos héros de l’indépendance, et en premier lieu Jean-Jacques Dessalines, ont déjà posé les bases du “Narratif Haïtien” depuis 1804 », explique-t-il. Pour lui, cette narration véhicule l’identité nationale, entre culture, traditions, valeurs et mémoire historique.
Il poursuit : « Aujourd’hui, en tant qu’héritiers de cette liberté, il nous incombe de mieux construire et renforcer ce “Narratif Haïtien”. C’est dans cet esprit que je m’investis à travers LPH. »
Le fondateur de la nation haïtienne occupe une place particulière dans sa réflexion. « Dessalines n’était pas seulement un stratège militaire exceptionnel ; il était un visionnaire qui comprenait profondément la dignité humaine et l’importance de l’autodétermination », souligne Gladimy Jean.
Il en tire trois exigences : « Décoloniser les esprits, reconstruire une narration qui valorise notre culture, nos héros et notre potentiel ; réparer les fractures sociales ; créer des espaces de fierté collective, pour que chaque Haïtien sente qu’il appartient à une nation qui a du sens. »
Dans cette perspective, culture et tourisme deviennent pour lui des leviers majeurs. « La culture, à travers nos traditions, notre histoire, nos arts et notre patrimoine, permet de mettre en lumière la richesse, la créativité et la résilience de notre peuple », affirme-t-il.
Il insiste aussi sur le rôle du tourisme durable : « Le tourisme durable crée des expériences immersives qui reconnectent les visiteurs et les citoyens à notre patrimoine, tout en soutenant le développement économique local. »
“Le Paradis Haïtien” a ainsi multiplié les initiatives : mariage culturel au Cap-Haïtien en 2022, randonnée de Kenscoff à Jacmel en 2020, ou encore documentaires pour valoriser l’histoire et la créativité haïtiennes.
Mais le chemin reste semé d’embûches. Gladimy Jean identifie plusieurs freins à l’émergence d’un récit national positif : « Les perceptions externes, largement limitées à la pauvreté et aux crises ; les perceptions internes, beaucoup d’Haïtiens eux-mêmes ayant intériorisé ces représentations négatives ; et la fragmentation institutionnelle et sociale, qui empêche la création d’un récit cohérent. »
À cela s’ajoute le manque de ressources. « La production de contenus culturels, éducatifs et médiatiques authentiques nécessite des investissements, de la formation et des plateformes accessibles, qui restent souvent limités », rappelle-t-il.
Au-delà de LPH, Gladimy Jean s’implique dans d’autres organisations. Chez Banj, il accompagne de jeunes entrepreneurs : « Depuis 2020, j’ai accompagné plus de 50 projets portés par de jeunes Haïtiens et formé plus de 3 000 jeunes leaders à travers le pays », dit-il.

Avec Gwoup Konbit, il participe à l’élaboration d’un guide de développement communautaire. « Le Guide Konbit rassemble les valeurs et principes du Konbit et propose des méthodes et bonnes pratiques pour que les communautés puissent agir de manière autonome et solidaire. »
Quant à Konbit San Pou San, fondé en 2020, il s’agit d’une association qui organise des collectes de sang. « Chaque poche de sang collectée peut transformer le destin d’une personne », souligne-t-il.

Au terme de ses engagements, Gladimy Jean adresse un appel aux jeunes générations. « À la jeunesse haïtienne, je souhaite transmettre un message de fierté, de responsabilité et d’engagement. Vous êtes les héritiers d’une histoire exceptionnelle, d’une culture riche et d’un peuple résilient. »
Et de conclure : « Le futur d’Haïti dépend de votre capacité à vous approprier le “Narratif Haïtien”, à valoriser votre identité, vos talents et vos communautés. Je vous encourage à agir, innover et collaborer. Peu importe votre quartier, votre parcours ou vos ressources, chaque action compte pour construire un pays plus fort et plus uni. »
Par Youbens Cupidon © Chokarella