Chaque 23 septembre, depuis 2017, l’ONU invite à réfléchir à la place des langues des signes et au respect des droits des personnes sourdes. Cette journée rappelle que la reconnaissance et la promotion de ces langues sont indissociables de l’exercice des droits fondamentaux. Le thème de cette année, « Pas de droits humains sans droits linguistiques en langue des signes », trouve un écho particulier en Haïti, où le combat pour l’inclusion des personnes sourdes se poursuit. Rencontre avec Fenel Bellegarde, communicateur social et cofondateur de l’Institut haïtien de langue des signes (IHLS).
Communicateur social de formation, Fenel Bellegarde détient un premier master en « Conseiller en accessibilité et accompagnement de publics à besoins particuliers » obtenu à l’INSE en France. Il est actuellement inscrit en Master 2 Communication et Marketing à l’Université Mohammed Premier au Maroc.
Son passage au Bureau du Secrétaire d’État à l’Intégration des Personnes Handicapées (BSEIPH) marque un tournant. En côtoyant quotidiennement des usagers sourds, il découvre une langue « belle, mais trop souvent ignorée », qui devient progressivement centrale dans sa trajectoire professionnelle et personnelle.
En 2017, il participe à la fondation de l’IHLS, première structure en Haïti dédiée à l’enseignement de la langue des signes. « Pour moi, l’enseignement de la langue des signes constitue le moyen le plus concret et le plus tangible de promouvoir les droits des personnes sourdes », explique-t-il. S’il commence à enseigner réellement en 2021, son rôle de responsable de centre lui a déjà permis de voir émerger une génération de professeurs, d’interprètes et de formateurs.
Le militantisme de Fenel Bellegarde débute en 2014, avec l’organisation d’une conférence-débat pour marquer la Journée internationale des langues des signes, une première en Haïti. Plus de soixante-dix participants, sourds et entendants, prennent part à la réflexion sur l’avenir d’une langue marginalisée. Cette initiative ouvre la voie à d’autres projets similaires.
Mais les obstacles restent nombreux. « Mes principaux défis résident dans l’insouciance et l’incompréhension de la société quant à la réalité des personnes sourdes et à l’importance de la langue des signes pour leur inclusion », souligne-t-il. À ce manque de reconnaissance s’ajoute l’insuffisance des moyens pour concrétiser ses projets. Il demeure néanmoins convaincu que chaque avancée rapproche Haïti d’une société plus inclusive.
En Haïti, la langue des signes n’a pas encore de statut officiel. Depuis l’arrivée des missionnaires américains en 1945, c’est l’American Sign Language (ASL) qui domine, transmise dans les écoles spécialisées et au sein des familles sourdes. Pour Fenel Bellegarde, cette réalité souligne l’urgence d’un travail de reconnaissance et de valorisation.
La langue des signes, rappelle-t-il, n’est pas seulement un outil pratique. Elle représente « un levier essentiel pour favoriser la participation des personnes sourdes » et un canal de communication entre communautés entendantes et sourdes.

Les formations proposées par l’IHLS vont au-delà de l’apprentissage linguistique. Elles sensibilisent les participants à la culture sourde, aux réalités du handicap et à la notion d’inclusion. Plusieurs témoignages illustrent ces impacts : enfants renouant le dialogue avec un parent sourd, fratries rétablies dans la communication, employés devenant relais au sein de leur institution pour accueillir un usager sourd. Ces expériences mettent en évidence les transformations possibles grâce à la langue des signes.
Fenel Bellegarde envisage désormais d’étendre l’action de l’Institut sur l’ensemble du territoire. « Présentement, j’aimerais étendre l’Institut sur l’ensemble du territoire national, en formant davantage de personnes, à la fois en ligne et en présentiel », indique-t-il. Il souhaite également développer des modules spécialisés pour divers secteurs — policiers, médecins, secouristes, agents de vente, pharmaciens — afin de favoriser l’inclusion dans tous les domaines.
« Pour un entendant, apprendre la langue des signes revêt d’une importance capitale », précise-t-il, estimant que ce domaine, encore jeune en Haïti, offre des opportunités professionnelles tout en permettant de « se solidariser à une lutte fondamentale visant à obtenir la reconnaissance d’une culture minoritaire ».
Il ajoute : « C’est un domaine professionnel encore très jeune, ce qui limite la concurrence et augmente les opportunités de débouchés. C’est aussi un moyen de contribuer à une noble tâche : se solidariser à une lutte fondamentale visant à obtenir la reconnaissance d’une culture minoritaire. Enfin, cela permet de bénéficier, si nécessaire, des services ou de l’appui d’une personne sourde. »
Une journée pour sensibiliser
La Journée internationale des langues des signes du 23 septembre constitue, selon lui, un moment clé de sensibilisation et de plaidoyer. « La Journée du 23 septembre constitue une occasion mondiale de sensibilisation et de plaidoyer en faveur de l’inclusion des personnes sourdes et malentendantes. Elle représente un moment de réflexion non seulement sur la place accordée aux langues des signes dans les différents pays, mais aussi sur la discrimination systématique dont sont victimes les personnes sourdes lorsqu’elles cherchent à accéder aux informations diffusées dans la société », explique-t-il.
Il ajoute : « Pour moi, c’est une opportunité de plaider en faveur de meilleures conditions de vie pour les personnes sourdes, du respect de leur identité et de la reconnaissance de leur langue comme une langue à part entière. »
Son message pour 2025 insiste sur la nécessité de rappeler les droits des personnes sourdes en tant que groupe minoritaire reconnu par l’État haïtien et d’appeler à une politique publique inclusive. « À cette occasion, mon principal message au grand public est double : rappeler, d’une part, les droits des personnes sourdes reconnus par l’État haïtien en tant que groupe minoritaire ; et d’autre part, souligner la nécessité d’élaborer une politique publique inclusive, qui ne laisse personne de côté, qu’il soit en situation de handicap ou non. »
Une lutte aux dimensions universelles
Le combat de Fenel Bellegarde dépasse les frontières haïtiennes. Son constat est clair : sans reconnaissance de la langue des signes, les droits humains ne peuvent être pleinement respectés. Pour Haïti, l’avenir de l’inclusion passe par l’adoption d’un statut officiel pour cette langue.
Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella