Roodlynail Théagène, originaire de Léogâne, s’investit dans le social depuis son plus jeune âge. Pour lui, la lutte contre la corruption et la défense des droits humains représentent des impératifs moraux qui guident sa trajectoire personnelle et professionnelle. À travers ses actions locales et ses expériences internationales, il illustre la détermination d’une jeunesse haïtienne soucieuse de prendre part aux transformations de son pays. Dans un entretien accordé à Chokarella, il revient sur son parcours, ses motivations et ses projets.
Né le 30 septembre 2004 dans une ville marquée par le séisme de 2010, il a grandi dans un environnement où la fragilité de la vie côtoyait des élans de solidarité. Aujourd’hui étudiant en anthropo-sociologie à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti, il se présente comme « un jeune citoyen engagé pour la paix, l’intégrité et le développement durable ».
Son engagement dépasse le cadre académique. Il est ambassadeur anti-corruption pour l’Organisation des Citoyens pour une Nouvelle Haïti (OCNH) et a représenté le pays au Parlement européen, à Strasbourg, lors de l’European Youth Event des 13 et 14 juin 2025. Il a également suivi des formations avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) et l’International Anti-Corruption Academy (IACA).
Au plan local, il est ambassadeur du mouvement Konbit en Haïti, par le biais d’organisations telles que Konbit San Pou San, Leaders de Demain et Le Paradis Haïtien. « Mon engagement s’inspire du konbitisme, cette philosophie haïtienne qui valorise la solidarité, la responsabilité, la collaboration, la réciprocité et la participation. Ces principes guident chacun de mes pas : travailler non pas pour moi seul, mais pour et avec ma communauté », explique-t-il.

Le 12 janvier 2010, Léogâne fut au centre du tremblement de terre qui fit plus de 250 000 victimes et détruisit près de 80 % de la ville. Roodlynail avait alors presque six ans : « La terre tremblait, les maisons s’écroulaient, des milliers de voix criaient. Au milieu de ce chaos, j’ai vu ma mère, Béatrice Pierre, distribuer de l’eau, partager de la nourriture et réconforter les blessés. Elle m’a appris que même dans la douleur, aider les autres reste une obligation morale. »
Cet épisode a façonné sa conscience : la vie est fragile, mais la solidarité demeure une force. Son éducation familiale lui a transmis l’idée que la valeur d’une vie ne se mesure pas à ce que l’on possède, mais à ce que l’on partage.
Dans son église, qui comptait plus de 10 000 membres en Haïti et dans la diaspora, il a appris à servir et à écouter. Il y a prêché, joué dans des pièces de théâtre pour enfants et voyagé avec sa famille. À l’école, il a occupé très tôt des fonctions de représentant de classe, ce qui lui a donné le sens des responsabilités. « Ces histoires personnelles, enracinées dans la douleur collective du peuple haïtien et dans une éducation fondée sur la solidarité, m’ont ouvert à une double identité : celle d’un jeune héritier du konbisme et celle d’un citoyen du monde capable de porter cette voix jusqu’aux plus hautes instances », dit-il.
Son enfance fut aussi marquée par des contrastes : « D’un côté, j’ai grandi dans une communauté solidaire, où la foi et la culture étaient des piliers. De l’autre, j’ai été témoin des inégalités, du manque d’accès aux services sociaux de base et de la pauvreté. » Confronté à ces réalités, il a très tôt ressenti « la nécessité d’agir ».
Son engagement se nourrit des injustices observées en Haïti. « Comment accepter qu’une nation si riche en culture, en valeurs et en talents soit maintenue dans la pauvreté par un système corrompu ? », questionne-t-il. Pour lui, la corruption constitue une « blessure humaine », perceptible dans la vie quotidienne : enfants privés d’éducation, étudiants contraints d’abandonner, femmes sans soins, familles privées de dignité.
Avec l’OCNH, il a sensibilisé des jeunes à la lutte contre la corruption. Avec Konbit San Pou San, il a participé à des initiatives de santé publique comme le don de sang. « Défendre les droits humains et combattre la corruption est pour moi un devoir moral et générationnel », affirme-t-il.
Il insiste sur le rôle de la jeunesse : « Elle ne doit pas attendre qu’on lui donne une place, elle doit l’occuper. Chaque geste compte. Plus nous serons nombreux à agir, plus nous réduirons l’espace de la corruption et des violations des droits. »

Une expérience internationale : le Parlement européen
En juin 2025, il a pris part à l’European Youth Event à Strasbourg. Pendant deux jours, il a débattu avec des milliers de jeunes leaders sur la démocratie, le climat, les droits humains et la justice sociale. « C’était une tribune où la voix d’Haïti devait résonner. J’ai porté la parole d’une jeunesse qui refuse de disparaître dans le silence », raconte-t-il.
Les échanges interculturels l’ont marqué : « Discuter avec des jeunes venus d’Ukraine, de Palestine, de Roumanie, de Belgique ou du Sénégal m’a rappelé une évidence : nos combats, bien que différents, se rejoignent dans une même quête de justice, de démocratie vivante et de respect des peuples. »
Projets et perspectives
Roodlynail concentre ses efforts sur la sensibilisation des jeunes, la protection de l’enfance, la défense des droits humains et des actions concrètes comme le don de sang. Il souhaite renforcer ses compétences académiques et développer des structures collectives pour mobiliser la jeunesse autour de projets durables. « Mon ambition est de passer d’initiatives ponctuelles à des mouvements structurés, capables de stimuler la participation active des citoyens et de soutenir le développement durable de notre chère Haïti », indique-t-il.
À moyen terme, il se projette comme « un acteur de terrain et un homme d’étude, construisant des ponts entre Haïti et le reste du monde pour que notre jeunesse soit reconnue comme une force de transformation ». Son message aux jeunes Haïtiens est clair : « Ne laissez pas les crises vous voler vos rêves. Même dans les moments les plus difficiles, souvenez-vous que vous avez une valeur immense et que votre avenir dépend de votre capacité à rester debout et à agir ensemble. »
Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella