Collinx Mondésir, Zazou Beats et GN Beats décryptent la polémique de l’Amapiano en Haïti

Depuis quelques années, la musique africaine influence de plus en plus la scène haïtienne. Le genre Amapiano, né en Afrique du Sud, s’installe progressivement dans les productions locales. Cette tendance séduit une partie du public, mais elle suscite également des critiques, notamment sur l’originalité des morceaux.

Certains observateurs estiment que les artistes haïtiens qui s’essaient à l’Amapiano reproduisent des sonorités trop proches de celles de leurs homologues africains. La sortie récente du titre “Invincible” de Baky a relancé le débat : plusieurs auditeurs ont noté des similitudes avec “Make You Say” de Rotimi.

Le chanteur Jah B Feray, ancien membre du groupe RockFam, a également alimenté la polémique en publiant un extrait de “Kwendi” de l’Ougandais Chozen Blood. Selon certains, ce morceau présente des ressemblances avec Kle Kou de Kenny Haiti. Ce dernier a dû défendre l’authenticité de sa musique. Son titre, dévoilé le 19 septembre 2024 sur l’album Time to Shine, est antérieur à la sortie officielle de Kwendi le 23 juillet 2024. Le producteur Adams Beat a partagé une capture d’écran datant du 20 mai 2024 montrant des discussions de production avec Kenny, pour appuyer la version de l’artiste.

Pourquoi ces similitudes ?

Afin de comprendre ces récurrences sonores, plusieurs producteurs haïtiens ont été sollicités par Chokarella. Pour GN Beats, il s’agit d’une conséquence logique : « Comme tout autre genre musical tel le Compas, le reggae ou le hip-hop pour ne citer que ceux-là, la façon dont se jouent les instruments, les accords tendances qu’on utilise dans la production sont des éléments clés qui nous permettent de déterminer le genre musical », explique-t-il. Selon lui, les ressemblances sont inhérentes aux codes esthétiques de l’Amapiano.

Issu du “Kwaito” et de la house sud-africaine, le genre Amapiano s’est imposé dès 2012 avec ses log drums, ses sonorités électroniques et ses lignes de piano inspirées du jazz et du soul. Cette combinaison produit des ambiances tantôt mélancoliques, tantôt festives.

Zazou Beats estime pour sa part que le problème vient d’un manque d’innovation : « La majorité des producteurs haïtiens qui explorent ce genre musical n’ont pas vraiment le souci d’apporter une touche d’innovation ou un petit changement dans leur instrumentale amapiano. […] Si les Haïtiens continuent à utiliser que les sons qui existent déjà, il y aura toujours cette ressemblance. »

Il reconnaît que beaucoup s’appuient sur des tutoriels disponibles en ligne. « J’aime regarder les tutos afin de comprendre quel son les pionniers ont utilisé pour en savoir si j’ai des sons qui sont appropriés à ceux qu’ils utilisaient », confie-t-il.

Pour le chanteur Collinx Mondésir, la situation découle de contraintes inhérentes au style : « Un genre musical est comme un langage : plus il est riche en vocabulaire, plus les artistes ont de la place pour s’exprimer de manière singulière. […] Dans le cas de l’amapiano, la similarité découle dans les choix d’arrangements et de structures qui définissent l’identité du genre. »

Il nuance cependant : « Le fait qu’un morceau amapiano soit immédiatement identifiable comme tel, grâce à ses similitudes avec d’autres, est en réalité une force : cela permet au genre d’exister comme communauté sonore. »

Vers un “Amapiano haïtien” ?

Certains producteurs plaident pour une adaptation locale. « Peut-être que nous devrions parler de “Amapiano-Haïtien” comme nous l’avons fait avec l’afro-compas. Ce qui résulterait à un autre style hybride mais plus haïtien », propose GN Beats.

Zazou Beats affirme déjà travailler sur des morceaux intégrant des sonorités locales : « Si les Africains l’ont repris et produit leur propre tendance, nous on peut faire de même, nous ne sommes pas obligés d’utiliser les mêmes ossatures rythmiques […] Par exemple Gardy Girault a produit un son amapiano, il a ajouté un son rara pour démarquer son œuvre des autres productions. »

Collinx Mondésir insiste, lui, sur la créativité comme solution : « Si l’on veut dépasser cette ressemblance, ce n’est pas une question de gamme ou de nombre de tons, mais d’exploration créative : croiser des textures, varier les progressions, jouer sur les timbres, inviter d’autres instruments ou d’autres cultures sonores. La fusion et le métissage ouvrent toujours de nouvelles fenêtres. »

Des ponts interculturels

L’adoption de l’Amapiano par les artistes haïtiens est perçue par certains comme une opportunité. « En aucun cas, ce n’est pas un problème, dès que l’explorateur apporte son propre style. […] Mickaelle Marabou avait une chanson afro qui était virale en Afrique. Ainsi nos artistes peuvent devenir des vrais stars internationales », souligne Zazou Beats.

Pour Collinx Mondésir, il s’agit d’un prolongement naturel de l’histoire musicale haïtienne : « L’impact sur l’évolution est double. D’un côté, cela élargit la palette et permet aux artistes de dialoguer avec un mouvement global. De l’autre, cela soulève toujours la question de l’équilibre : comment rester ancré dans une identité propre tout en empruntant ailleurs ? Mais pour moi, ce n’est pas une opposition à résoudre. C’est plutôt une tension féconde. »

Ainsi, le débat autour de l’Amapiano en Haïti dépasse la question du plagiat. Il met en lumière les enjeux de créativité, d’identité et d’ouverture, au moment où les artistes cherchent à conjuguer influences extérieures et patrimoine local.

Par Youbens Cupidon © Chokarella

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.