Le mecredi 20 août 2025 marque le vingtième anniversaire de la carrière musicale de BélO. Depuis ses débuts en 2005 avec l’album “Lakou Trankil“, l’artiste haïtien a construit un parcours marqué par l’innovation musicale et l’engagement social. Son style, le « Ragganga », mêlant reggae, jazz, rock et rythmes afro-haïtiens, lui a permis de se produire sur de nombreuses scènes internationales et de porter au public des messages d’unité, de justice sociale et d’espoir. À travers ses albums et ses concerts, BélO contribue à faire connaître la culture haïtienne et à sensibiliser sur les enjeux sociaux de son pays, tout en consolidant une carrière qui se distingue par sa cohérence artistique et son impact culturel.
Pour BélO, les souvenirs fondateurs précèdent même cette vingtaine d’années. « Si je devais choisir un souvenir fondateur, je remonterais encore plus loin que ces 20 années. Je revois très clairement la cour du Centre classique et culturel de Pétion-Ville, dans les années 1993–1994. On chantait entre amis, et sans qu’on le sache, c’était déjà le début de l’aventure. Bien sûr, il a fallu attendre presque dix ans avant que le premier album voie le jour, mais pour moi, tout est né de ce moment-là », raconte-t-il lors d’un entretien avec Chokarella. Cette image reste gravée et revient constamment lorsqu’il repense au chemin parcouru.
Né à Lafferronnay, un petit village de Croix-des-Bouquets, BélO décrit son enfance comme un équilibre entre deux mondes : « J’aime dire que Croix-des-Bouquets et Pétion-Ville sont pour moi comme deux mamans. La première m’a donné naissance, la seconde m’a élevé. Être né à Croix-des-Bouquets, c’est avoir grandi au cœur d’un environnement riche : le rara, les bandes à pied, les églises protestantes, les temples vodou, les combites, la vie paysanne… Tout cela a façonné mon identité, à la fois en tant qu’Haïtien et en tant qu’artiste. Mais c’est Pétion-Ville qui m’a offert l’ouverture nécessaire : des rencontres déterminantes, des influences artistiques, la possibilité de canaliser mes choix. Les six premières années de vie sont fondamentales, et j’ai eu la chance de les vivre à Croix-des-Bouquets, avant de recevoir à Pétion-Ville l’élan qui m’a permis de devenir l’artiste que je suis. »
Le premier album de BélO, “Lakou Trankil“, sorti en 2005, reste pour lui un jalon majeur, à la fois musical et social. « Lakou Trankil, c’était mon premier cri, ma première déclaration au monde. On y entend un jeune artiste avec toute sa fougue, ses convictions, sa naïveté aussi, mais surtout une sincérité totale. Pour moi, cet album n’a jamais été seulement un projet artistique, c’était avant tout un projet social », souligne-t-il. Vingt ans après sa sortie, l’artiste ressent toujours une forme de douleur en réécoutant ces morceaux : « Ces chansons, qui devaient accompagner un changement urgent en Haïti au lendemain de 2004, restent encore d’actualité aujourd’hui. »
La reconnaissance internationale arrive en 2006 avec le Prix Découvertes RFI. BélO précise que ce prix a constitué un tournant. « Ce moment a été à la fois intense et transformateur. Remporter le prix Découvertes RFI en 2006, ce n’était pas seulement une récompense : c’était une validation du travail accompli et une reconnaissance des vraies valeurs artistiques et culturelles. Mais, comme je l’ai toujours dit, je n’ai jamais considéré ce prix comme une finalité. Pour moi, ce n’était pas un aboutissement, mais un moyen. » Il ajoute que ce moyen a été utilisé pour « faire connaître Haïti autrement, montrer que notre culture peut rayonner et inspirer, et redonner espoir à la jeunesse haïtienne ». Mais, insiste-t-il, « il a fallu franchir ces portes et travailler avec détermination pour transformer cette reconnaissance en opportunités concrètes ».
L’identité sonore de BélO, qu’il nomme « Ragganga », est le résultat d’une fusion de plusieurs influences musicales. « Dès mes débuts, j’ai été influencé par la richesse musicale d’Haïti : les rythmes traditionnels, le rara, le compas, mais aussi les mélodies et harmonies venues d’ailleurs. En grandissant, je me suis nourri du reggae, du jazz, du rock, et j’ai cherché à créer un pont entre ces univers et ma culture d’origine », explique-t-il. Cette identité s’est construite « par expérimentation : en mélangeant les instruments, les grooves, les harmonies et les textes », mais aussi grâce à des collaborations avec des musiciens et producteurs qui ont contribué à enrichir le son, comme Fabrice Rousier, Keke Belizaire, Sanon Lamour, Socute, Andy Barrow ou Olsen.
Le fil conducteur de sa musique reste constant : justice sociale, unité et espoir. BélO précise que ce choix n’est pas le fruit du hasard : « Le fil rouge de ma musique — justice sociale, unité, espoir — n’est pas un hasard. C’est le reflet d’une mission à laquelle je reste fidèle depuis le début. Je n’ai pas choisi la musique pour le plaisir, mais pour porter des voix, réveiller les consciences et dire ce qui ne se dit pas assez fort. »
Le séisme de 2010 a marqué un moment douloureux pour Haïti et pour BélO, qui devait se trouver en concert à l’étranger. « Même si je n’étais pas sur place, la musique m’a donné un rôle. Elle m’a permis de contribuer à ma manière à la reconstruction d’Haïti, de redonner espoir et de montrer que notre pays pouvait se relever. » L’album “Haïti Debout“, sorti en 2011, est né de cette expérience, avec des chansons comme “Wozo” et Léwa, qui témoignent de la résilience du pays et du rôle de la musique dans ce processus.
BélO évoque également l’importance des distinctions reçues au cours de sa carrière, comme le Grand Prix du Unsigned Only Music Competition en 2020 pour la chanson EDA. Cette mélodie, inspirée d’un souvenir familial et d’un cadeau de son père, devient un symbole de résilience et de gratitude. « Ce prix n’était pas seulement une reconnaissance internationale de mon travail, il m’a aussi rappelé que, malgré tous les obstacles, ma musique pouvait encore toucher les cœurs, surprendre et rassembler un public au-delà de mes frontières. »
La relation avec ses fans, les BélO-man et BélO-fan, occupe une place particulière dans son parcours. « Un Bélo-man ou un Bélo-fan, c’est avant tout quelqu’un qui aime ma musique et qui comprend mon engagement, que ce soit sur le plan artistique ou social. Ces personnes sont devenues comme une famille pour moi : elles suivent le projet depuis le début ou sont arrivées en cours de route, et elles s’identifient à ma musique, à mon son, et à ma démarche. »
À travers son expérience, BélO cherche à transmettre aux jeunes artistes haïtiens une idée de réussite différente de la simple renommée : « Le succès ne se mesure pas seulement en argent ou en renommée, mais en impact et en authenticité. La vraie richesse, c’est de rester fidèle à soi-même, de créer avec sincérité et de mettre son art au service de sa communauté. »
Les expériences scéniques à l’international ont élargi sa perception de la musique et de son rôle. À l’étranger, la curiosité et l’écoute attentive des publics offrent un contraste avec l’expérience haïtienne, où chaque chanson est déjà chargée d’histoire et de contexte. « Chaque scène, chaque public, enrichit ma manière de partager et me rappelle que la connexion humaine est au cœur de tout ce que je fais », dit-il.
Enfin, BélO se projette dans l’avenir avec des projets visant à renforcer le rayonnement de la musique haïtienne. Il souhaite développer des collaborations internationales, mettre en avant les talents locaux et soutenir des initiatives éducatives et culturelles pour les jeunes. Son objectif reste de « bâtir un pont entre la créativité haïtienne et le monde, tout en restant fidèle à nos racines et à nos valeurs ».
À l’occasion de ses vingt ans de carrière, l’artiste invite le public à suivre son actualité musicale et ses projets via ses réseaux sociaux : https://instabio.cc/3020110lQVv3a.
Par Ravensley Boisrond, éditeur en chef de Chokarella