Kelly Krow, une voix indépendante née du créole et du hip-hop

Installé au Canada, Youri Kelly Loiseau, alias Kelly Krow, revient sur son parcours d’artiste indépendant dans un entretien accordé à Chokarella. Originaire d’Haïti, il se définit comme un chanteur qui puise à la fois dans ses racines afro-caribéennes et dans les sonorités contemporaines. De ses débuts dans le hip-hop anglophone jusqu’à l’affirmation d’un style hybride et personnel, il retrace une trajectoire marquée par le choix de l’indépendance, la volonté de rester fidèle à ses émotions, et une recherche constante de sens.

C’est à l’école primaire que le premier déclic se produit. Une professeure de musique remarque ses aptitudes et en informe sa mère, suggérant qu’il rejoigne Les Petits Chanteurs du Mont-Royal. Le projet n’aboutira pas, la professeure décédant peu après. « Depuis ce jour, je savais au fond de moi que je voulais devenir artiste », raconte-t-il.

Quelques années plus tard, en secondaire 5, il forme avec des amis un groupe de danse pour participer à Secondaire en spectacle. Ce qui devait être une initiative ponctuelle finit par remporter plusieurs étapes du concours et les mène sur différentes scènes du Québec. Cette première expérience du public agit comme un déclencheur. « Ça m’a offert mes premières vraies scènes, mes premières ovations, et le goût d’y retourner », se souvient-il.

Des débuts dans le rap aux premières chansons en créole

Sous le nom de “Young Krow”, il commence à évoluer dans le milieu hip-hop, assurant les premières parties d’artistes américains comme BowWow ou T-Pain. Mais le sentiment de décalage s’installe : « Je rap en anglais, je ‘follow’ la vague, mais je ne sais pas vraiment pour qui je fais cette musique. »

C’est en 2014 qu’un nouveau virage s’amorce. Il écrit pour la première fois en créole haïtien. « Là, ça clique. Je me reconnais. Je sais à qui je m’adresse. » Avec des amis, il lance « The Official Food Gang », un collectif musical et humoristique dont les vidéos deviennent virales, jusqu’à être relayées sur Worldstar HipHop. Il finit cependant par s’en détacher. « Je veux être pris au sérieux. Je veux chanter. Être plus qu’un rappeur comique. » C’est à ce moment qu’il adopte officiellement le nom de scène Kelly Krow.

L’année 2017 marque une étape décisive avec la sortie de « Fè de mwen sa ou vle », un morceau en créole qui amorce un tournant esthétique et thématique. « Ce titre marquait pour moi un virage important, car j’avais envie d’aborder des thèmes plus intimes et relationnels, qui sont encore peu représentés dans l’industrie musicale haïtienne. »

Il se détache peu à peu des codes dominants et des standards attendus pour proposer une approche plus sensible : « J’avais envie d’aborder les relations amoureuses, la vulnérabilité… Ce sont des choses encore peu représentées dans notre industrie. » Cette volonté de sortir des formats établis guide désormais sa démarche artistique.

Depuis cette première sortie majeure, Kelly Krow poursuit son évolution avec une trentaine de singles, un EP de sept titres et une compilation remix. Son processus de création commence par la musique, avant même les paroles. « Je cherche la vibe, la topline. Les mots viennent après. »

Il travaille en étroite collaboration avec sa femme et sa belle-sœur, qui participent respectivement à la direction artistique et à la composition. « Tant que les trois ne sont pas satisfaits, la chanson ne sort pas. » Ce noyau créatif familial structure son univers musical et assure une cohérence dans sa démarche.

Parmi ses collaborations figurent plusieurs titres remarqués comme « Gadon Vibe » avec Mikaben, « Sote » avec Michaël Brun, « LOUD » avec Magdala, « Manyen m » ou encore « Siw renmen m ».

Son style, Kelly Krow le définit comme une fusion entre konpa, zouk, afro, R&B et hip-hop. « J’aime brouiller les lignes entre les genres pour créer quelque chose de vivant, de sensuel et de sincère. » Il revendique l’influence d’artistes comme Wyclef Jean ou Busta Rhymes, qui lui ont transmis l’idée de liberté artistique.

Il puise aussi dans les musiques qui ont bercé son enfance : les Gypsies de Pétion-Ville, Sweet Micky, Zin, Michel Sardou ou encore Nana Mouskouri. Une double culture, haïtienne et francophone, qu’il tente de faire dialoguer dans son œuvre.

L’amour, la sensualité, l’identité ou encore le rapport au corps et à l’intime traversent son répertoire, souvent abordés sous un angle émotionnel plutôt qu’esthétique. « Mizik pou fè pitit », lance-t-il, comme un slogan personnel.

Actuellement, Kelly Krow préfère continuer à publier ses morceaux au compte-gouttes. « Chaque chanson mérite sa propre lumière », estime-t-il, refusant de sortir un album sans que celui-ci soit mûrement réfléchi. Il prépare actuellement une nouvelle chanson, “Jan w vle l“, prévue pour le 8 août. Un morceau coécrit avec sa femme.

D’autres projets sont en gestation, mais il se montre discret sur les détails : « Je me ‘jinx’ tout le temps quand je parle trop en détail de mes projets à l’avance. Alors j’ai décidé d’arrêter d’en parler et de simplement les faire. »

Reprendre le contrôle de sa carrière constitue pour lui un autre tournant majeur. « Un moment clé a été celui où j’ai décidé de prendre le contrôle total de ma carrière artistique. » Il gère lui-même ses sorties, ses visuels, ses performances. « Ça m’a permis de rester fidèle à ma vision, de m’entourer des bonnes personnes et de créer sans compromis. »

Avant de vivre de sa musique, il a travaillé comme intervenant en maison des jeunes. Une expérience qui influence encore sa manière d’écrire : « Elles m’ont appris l’importance de l’expression, de la confiance en soi et du besoin de représentation. »

Autre passion : le basketball. Il y a joué pendant des années et a même coaché. Un sport qui, selon lui, lui a enseigné la discipline et le travail en équipe, des principes qu’il applique aujourd’hui à sa pratique musicale.

Un chemin encore en construction

Pour Kelly Krow, l’art est indissociable d’une quête de sincérité. « Je ne cherche pas la perfection, je cherche la vérité dans ce que je ressens, dans ce que je vis, et dans ce que je crée. »

Il affirme continuer à rêver, non pas pour atteindre un objectif figé, mais pour maintenir l’élan créatif. « Je pense que réaliser des rêves, c’est les détruire. C’est pour ça que je continue à rêver plus grand, à créer, à me réinventer. »

À travers sa musique, il dit vouloir accompagner les auditeurs dans leur quotidien, les aider à se sentir entendus. « Si on se souvient de moi comme d’un artiste qui a osé être lui-même, qui a porté sa culture avec fierté et qui a toujours mis son cœur dans chaque note, alors j’aurai fait ce que j’avais à faire. »

Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella

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