Liautaud H. Philogène, plus connu sous le nom de scène KingH509, se confie à Chokarella sur son parcours, ses projets et les étapes marquantes de son évolution. Absent de la scène depuis quelque temps, l’artiste haïtien prépare un retour structuré, encadré par l’agence « Voilà Concert », active au Canada et en Europe francophone. Deux concerts sont déjà programmés en septembre : le 4 à l’Université d’Ottawa, devant plus de 1 000 étudiants, et le 25 au TD Arena, face à quelque 9 000 jeunes du CECCE. Parallèlement, il développe sa propre structure événementielle, « We Live It », ainsi qu’une plateforme dédiée au konpa à Ottawa, « Let’s Ploge ».
Né à Port-au-Prince, KingH509 a quitté Haïti après le tremblement de terre de 2010. Il poursuit alors ses études à Philadelphie, puis à Ottawa, où il obtient un baccalauréat en sciences sociales. Mais c’est bien plus tôt que l’écriture prend une place centrale dans sa vie. À neuf ans, il perd son père. Ce deuil marque le début d’un besoin de s’exprimer par les mots.
« Ma mère et mon frère m’ont emmené voir une psychologue, Madame Loubeau. Elle a essayé de m’initier au dessin, mais c’est l’écriture qui m’a parlé. Elle me donnait un crayon et une feuille, et je ne m’arrêtais plus. Elle m’a conseillé de toujours avoir un petit carnet sur moi. » Dès l’enfance, l’écriture devient un refuge. « L’écriture, c’est ma thérapie, mon échappatoire. […] Écrire, pour moi, c’est respirer », déclare-t-il.
Le choix de son pseudonyme artistique est, lui aussi, porteur de sens. « Le H, c’est mon deuxième prénom sur papier, un hommage à ma mère, Heronne. […] Du côté paternel, mes frères m’appelaient Prince, car j’étais le plus jeune. […] J’ai placé un ‘King’ devant le ‘H’, et ajouté 509 pour représenter fièrement mes racines haïtiennes », explique-t-il.
Son rapport à la musique se renforce à l’Université d’Ottawa, à travers les événements culturels organisés par le club des étudiants haïtiens. Il y explore plusieurs formes d’expression : théâtre, rap, danse. « Je suis passé de bénévole à coordonnateur artistique. J’écrivais des pièces de théâtre, je les mettais en scène, je jouais dedans, je rappais, je dansais… Je voulais que Haïti soit représentée de façon digne et forte. » En 2017, il prend la décision de se professionnaliser. Il se souvient de ses premiers pas sur scène, notamment lorsqu’il reprend Dekole de J. Perry : « L’énergie était électrique. Même les autres communautés se sont laissées emporter. »
Les débuts comportent leur lot d’incertitudes. « Il m’a fallu comprendre mes forces, définir mon style, et surtout apprendre à naviguer dans une industrie musicale qui change tout le temps. » Deux rencontres s’avèrent déterminantes : celle avec Créole, son producteur actuel, et celle avec l’APCM (Association professionnelle de la chanson et de la musique), qui l’accompagne dans la structuration de sa diffusion.
Son univers musical, en constante évolution, mêle rap, trap-konpa, et afrobeats. Il est porté par une volonté d’ancrage dans ses racines tout en restant ouvert au monde. À son actif : deux EP (Mansah et Mantalité N), un album (Mon Heure), et plusieurs singles, dont “Millions, Franco, et Wi li vle trip“. « Ces chansons m’ont ouvert des portes. Elles représentent chacune une étape dans mon évolution », dit-il. Il affirme écrire sans filtre : « J’aime parler de ma réalité. Écrire, c’est me libérer. J’espère que ma vérité touche les autres, qu’elle crée un pont d’empathie, qu’elle provoque une réflexion. »
Certains moments sur scène viennent confirmer cette capacité à toucher un public élargi. « C’était la première fois que je voyais ma musique voyager avec moi, toucher des gens dans une ville que je ne connaissais pas », se souvient-il à propos d’un concert à Sudbury. Ses racines haïtiennes restent un repère constant : « Haïti est en moi : dans mon sang, dans mon accent, dans ma routine. »
D’autres expériences en studio sont tout aussi marquantes. « L’enregistrement de Salaud était magique. On dansait, on vibrait, il y avait une énergie brute. » Il souligne également l’importance de sa collaboration avec Gvmou sur le titre “Millions“, qui, selon lui, a joué un rôle décisif auprès du public francophone.
Si certaines périodes ont été plus silencieuses, c’est pour mieux construire l’avenir. « J’ai pris une pause pour me reconstruire, définir une direction artistique claire. Maintenant que tout est en place, je suis prêt. » Plusieurs morceaux sont en cours de création, sans certitude encore sur leur format final. « Je ne sais pas encore si ce sera un EP ou un album. Mais ce sera authentique, enraciné, fidèle à mon histoire. Chaque titre est une pièce de moi. »
Les mois à venir s’annoncent chargés. Deux concerts sont prévus en septembre, suivis d’un rythme soutenu pour l’année 2026 : « Sortir un morceau tous les deux mois, faire entre 4 et 6 spectacles par mois, créer une présence continue. » Et les collaborations envisagées ne manquent pas : Kalash 972, T-Ansyto, Baky, entre autres.
Sa perspective à long terme dépasse le cadre musical. « Je viens de loin. Je suis le produit de la colonisation, de l’immigration, de l’instabilité. Mais je suis aussi la preuve que les choses peuvent changer. Ce que vous vivez n’est qu’un chapitre difficile, ce n’est pas la fin de votre histoire », déclare-t-il à Chokarella.
KingH509 poursuit sa route, posant les jalons d’un parcours artistique pensé sur la durée, entre réflexion personnelle et volonté de transmission.
Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella