Bref Intellect s’interroge sur les limites de l’autodéfense populaire avec “Brigad”

Le rappeur haïtien Bref Intellect, de son vrai nom Emmanuel Erassaint, s’est associé à son cousin Mc Bob Yaman et à son confrère musical Wood Terrib pour produire un nouveau morceau intitulé Brigad. Ce titre, disponible sur toutes les plateformes digitales depuis le 13 juillet, s’inscrit dans une démarche de dénonciation des dérives liées à l’insécurité et au manque d’encadrement institutionnel.

Dans cette chanson de rap urbain produite par Sousbeat, les trois artistes abordent un phénomène social en pleine expansion : l’auto-défense populaire. Ils évoquent d’une part la création de brigades locales par des citoyens pour protéger leurs quartiers, face à une insécurité croissante et à l’absence de réponse efficace de l’État. D’autre part, ils alertent sur les dangers encourus par ces jeunes non formés, exposés à de graves risques dans des contextes de violence armée.

« Brigade est un sujet qui revient constamment dans les journaux et sur les réseaux sociaux, c’est ce qui m’a donné l’inspiration pour écrire une chanson qui vise non seulement à dénoncer la manière dont nous abordons le phénomène d’insécurité que nous traversons actuellement mais aussi de proposer une solution à ce que vivent les Haïtiens », affirme Bref Intellect dans un entretien accordé à Chokarella.

Originaire de Dame-Marie, dans le département de la Grand’Anse, l’artiste confie être profondément touché par cette réalité. Il déplore les conditions dans lesquelles ces brigades se forment, souvent sans accompagnement ni ressources. « La sécurité est un sujet complexe à gérer, de plus, la mode opératoire et des faibles moyens dont disposent les bénévolats qui sont prêts à défendre leurs zones m’écœurent », confie-t-il.

Selon lui, la majorité de ces jeunes ne sont pas préparés au port d’armes. « La majorité des membres de la brigade ne sont pas formés au port d’armes. Ce qui complique leur travail et ce sont des jeunes qui sacrifient leur vie pour aider leurs enfants », observe-t-il. Il insiste sur la nécessité d’un positionnement clair des responsables publics. « Il est temps que nos dirigeants prennent leurs responsabilités. Créer une brigade n’est pas la solution, mais ce n’est pas non plus le problème. »

Pour Bref Intellect, la lutte contre l’insécurité ne se limite pas à la formation de troupes volontaires, mais il estime que cela ne justifie pas pour autant la stigmatisation de leurs actions. L’artiste, né le 11 novembre 1998 dans une famille chrétienne de dix enfants, est le cinquième de la fratrie. Son père, Louis Elysée Erassaint, est pasteur et professeur d’école, sa mère, Luciana François, est commerçante.

Depuis son plus jeune âge, Emmanuel est animé par une passion pour la musique. « J’ai grandi avec ma famille dans une atmosphère à la fois joyeuse et parsemée de souffrance. Ce qui m’a le plus marqué dans mon enfance, c’est l’amour et la passion que j’ai eu pour la musique. Quand j’avais 12 ans, j’ai fondé mon groupe musical qui s’appelait Boul Lajwa ; on a rencontré un grand succès dans la région à cette époque », se souvient-il.

Conscient de ses débuts imparfaits, il reconnaît ne pas chanter comme un professionnel à l’époque. Toutefois, après plusieurs années d’apprentissage, il finit par trouver sa place dans le paysage musical haïtien. Il développe un style qui allie rigueur artistique et engagement social. « Je pense que la société haïtienne a besoin beaucoup plus d’artistes comme moi pour porter la voix de ceux qui ne sont jamais écoutés, toujours méprisés et considérés comme le déchet de la société », affirme celui qui a vécu dans les quartiers populaires de Port-au-Prince.

Dans ces milieux marginalisés, l’artiste observe une dynamique ambivalente : « Cet espace offre deux options : soit qu’on donne le minimum à ces gens afin qu’ils puissent devenir des citoyens utiles ou du moins qu’ils deviennent comme les gens qui sèment la terreur dans le pays si on les abandonne. »

En 2016, après plusieurs années de travail, il parvient à se faire une place sur la scène musicale. Son parcours l’amène à collaborer avec plusieurs artistes, dont la chanteuse Mirla sur le morceau M’anvi wè w. « Plus vous aimez ce que vous faites, plus vous recherchez la perfection », dit-il.

En parallèle, il poursuit des études en Génie civil. Cinq ans plus tard, il sort son premier EP intitulé Pale Pou Mwen, composé de sept titres, dont un en collaboration avec Jean Bernard Thomas. « Ce projet m’avait apporté beaucoup de motivations vis-à-vis de mes désirs, mes rêves, et il a inspiré beaucoup d’autres jeunes, socialement parlant », confie-t-il.

Mais son parcours n’est pas exempt de difficultés. « Y a aussi beaucoup de moments de déception et de découragement, mais la musique me transformait et m’enseignait de ne point faiblir, de ne jamais baisser les bras et d’aller toujours vers l’avant », explique-t-il. Il admet avoir traversé des périodes où la musique était sa seule raison de continuer. « Au commencement de ma carrière, j’étais engagé dans la musique comme si ma vie en dépendait, je vivais, chantais au nom de la musique et ça prenais vraiment goût quand j’ai réalisé que dans mes chansons, je racontais l’histoire de beaucoup d’autres personnes », raconte-t-il.

Il mesure l’impact de ses textes à travers les témoignages de ses auditeurs. « J’ai compris ça en rencontrant de nombreuses personnes avec qui j’ai eu la chance d’échanger quelques mots. Ils me disaient que ma musique est comme un remède qui apaise leur esprit quand il s’agite ou se perturbe », souligne-t-il.

Ses textes puisent leur inspiration dans les réalités sociales qu’il connaît. « L’image du ghetto me revient à l’esprit tout le temps ; misère, l’inégalité, les conditions de vie indécentes de ces gens qui ne demandent pas plus que la santé, l’éducation et le travail », déplore-t-il.

Amateur de rap engagé, il cite comme référence le défunt rappeur Dejavoo, qu’il admire pour la qualité de ses textes. « On ne trouve pas de mots triviaux, et c’est le style artistique dont notre société a vraiment besoin », affirme-t-il.

Dans un environnement musical peu favorable aux textes conscients, Bref Intellect reste fidèle à sa ligne artistique : raconter le quotidien des plus défavorisés. Une vision qui, selon lui, s’inscrit dans la continuité des luttes populaires. « Je ne peux pas rester indifférent face à toutes ces turpitudes, notamment les enfants qui grandissent dans les rues, les petits groupes qui pillent les fonds publics alors que les gens n’ont pas de quoi à manger, les commerçants qui se sont fait tirer dessus en centre-ville, les étudiants qui ont perdu leurs examens d’État parce qu’il manquait 3 000 gourdes aux frais de scolarité », insiste-t-il.

Selon l’artiste, Brigad marque une étape importante dans son parcours. « Je la trouve plus émotionnelle et les retours sont plus positifs. C’est toujours la même cause que je défends. Brigad, c’est l’une des chansons qui va marquer ma carrière, bien que la musique Son Plezi que j’aie sortie avant ce projet est un très beau texte qui dénonce la façon dont les hommes armés s’amusent à infliger des cruautés à la population en profitant de leurs actes criminels », affirme-t-il.

Pour réaliser ce morceau, les trois artistes ont dû surmonter plusieurs contraintes logistiques, notamment en raison de leur éloignement géographique. « Chaque artiste a travaillé avec un producteur différent, nous ne vivons pas dans le même pays, donc cela était difficile d’obtenir les voix simultanément », explique-t-il.

Malgré ces difficultés, le projet a vu le jour grâce à l’engagement de chacun. « Ils ont pris le temps de le réaliser, parce qu’ils étaient envoutés par le projet, c’est ce qui a rendu ce projet possible en si peu de temps », estime-t-il.

Aujourd’hui, Bref Intellect poursuit ses projets musicaux. Il confie à la rédaction avoir plusieurs œuvres prêtes, mais sans en dévoiler les détails. « Je peux assurer à mes fans que mon EP est déjà terminé. On attend juste les bons moments. Mais, je vais continuer à publier d’autres morceaux. Faites confiance à votre artiste et restez connectés car nous allons passer de nombreux beaux moments ensemble », conclut-il.

Par Youbens Cupidon © Chokarella

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