Le jeune mannequin haïtiano-américain Schnadè Saintïl se livre à Chokarella sur ses débuts dans l’univers de la mode, sa passion pour le théâtre et son attachement à ses origines. Né en Floride de parents haïtiens, il construit une trajectoire à plusieurs facettes, entre défilés, études en linguistique et formation théâtrale. Il questionne les standards de représentation dans l’industrie, défend une approche multiculturelle de la création et rêve d’une carrière internationale. Dans cet entretien, il revient sur les expériences qui l’ont façonné, les défis rencontrés et sa volonté de porter l’héritage haïtien à travers toutes ses expressions.
Né à Boynton Beach, au sud de la Floride, de parents haïtiens, Schnadè Saintïl évolue dans plusieurs disciplines. Acteur en formation, comédien, mannequin et étudiant en linguistique, il forge un parcours marqué par le besoin de raconter et de représenter. « Je suis né de deux parents haïtiens à Boynton Beach, une ville dans le sud de la Floride aux États-Unis. C’est là où j’ai grandi toute ma vie », confie-t-il.
C’est dans ce cadre modeste qu’il développe une appétence pour les formes d’expression, sans jamais rêver directement de podiums. Le mannequinat, il y arrive presque par accident, encouragé par les circonstances et certains proches. « Après le lycée, j’ai fait quelques photos pour un book avec une amie qui voulait m’aider. J’ai postulé pour quelques agences, mais à l’époque, je n’y connaissais rien », raconte-t-il.
C’est à l’Université du Michigan, à travers un club de mode étudiant, qu’il se prête au jeu plus sérieusement. « Tous les dimanches, on s’habillait, on pratiquait notre démarche pour un défilé de fin d’année. Je n’ai fait ça qu’une fois, mais ça m’a donné de l’assurance », explique-t-il. Cette première expérience le pousse à y croire, sans l’assumer encore pleinement.
Le vrai tournant se produit à Paris, lors d’un semestre d’échange. « Je voulais faire du théâtre en français. Et à force de rencontres, on m’a souvent demandé si je faisais du mannequinat. Des étudiants en mode m’ont proposé de poser pour leurs projets. D’autres m’ont remarqué, et les demandes se sont enchaînées », se souvient-il. Schnadè reconnaît que cette période lui a donné confiance. « J’ai commencé à me considérer comme un mannequin. »
L’identité joue un rôle central dans son parcours. Il affirme ses origines haïtiennes jusque dans son apparence. « Je porte souvent une bague avec le blason haïtien et un collier en forme de carte d’Haïti. C’est ce que je garde toujours. Le reste, ça change », dit-il. Son style vestimentaire témoigne de cette approche personnelle et évolutive. « Mon style est assez éclectique. Je porte des baggys, des vestes vintage et je compose. »
L’aspect multiculturel ne s’arrête pas à l’image qu’il donne de lui. Il oriente aussi ses choix d’apprentissage et de carrière. « Je veux construire une carrière entre les mondes francophone et anglophone », précise-t-il. La question de la représentation le préoccupe. Il constate un manque d’espace pour les hommes noirs dans le milieu de la mode. « J’aimerais voir plus de visages comme le mien. Souvent, les castings sont réservés aux Blancs ou aux femmes. Les mannequins noirs existent, mais j’ai l’impression qu’ils évoluent dans un cercle fermé », observe-t-il.

Schnadè déplore également certaines pratiques courantes dans l’industrie, comme l’absence de suivi après des sollicitations professionnelles. « On te contacte, on te dit qu’on veut travailler avec toi, et puis plus rien. C’est dur à encaisser », souligne-t-il. Son regard sur la mode reste néanmoins attaché à la beauté du geste, à la fois esthétique et expressive. « Ce qui m’inspire, c’est le mouvement du corps. Une bonne photo doit capturer ça », explique-t-il.
S’il ne revendique pas de direction artistique spécifique, Schnadè se nourrit du travail de créateurs audacieux. Il évoque notamment Wisdom Kaye : « Il a une imagination folle. Il montre que la mode, c’est un terrain de jeu », ajoute-t-il. Parmi les collaborations qu’il rêve de concrétiser figurent Raphaël Ignazi, de l’Institut Français de la Mode, et Stella Jean. « La collection de Raphaël m’a marqué. Les silhouettes, les bijoux… on aurait dit de la royauté », confie-t-il. « J’aimerais beaucoup travailler avec Stella Jean. Je cherche un créateur haïtien qui valorise vraiment notre culture dans son travail », poursuit-il.
Il garde également en mémoire un défilé à l’Institut Français de la Mode particulièrement engagé sur le plan politique. « Chaque designer portait un t-shirt dénonçant le financement des guerres. L’un d’eux avait créé une veste avec les visages de victimes de violences policières. J’avais jamais vu ça », se souvient-il.
Lorsqu’il se prépare pour une séance photo ou un défilé, Schnadè mobilise des techniques issues de sa formation théâtrale. « J’ai appris à être à l’aise rapidement. Je me laisse aller une fois que je sais ce que j’ai à faire… », explique-t-il. Il poursuit : « Avant un défilé, je repense à toutes les pièces que j’ai jouées. Une fois lancé, je passe en pilote automatique. Même si ça commence mal, on n’a pas le droit de revenir en arrière. Il faut juste rééquilibrer. »
Schnadè perçoit la mode comme un langage à part entière, capable de susciter des échanges. « C’est un brise-glace. Mon collier attire l’attention, les gens me posent des questions. C’est un moyen d’ouvrir le dialogue », note-t-il. Pour lui, le mannequinat reste un outil complémentaire. Il insiste sur sa priorité, le métier d’acteur. « Je suis en formation à l’Université du Michigan. J’apprends aussi l’arabe pour un échange au Maroc. J’aime tout ce qui est culturel. C’est comme un passe-temps », précise-t-il.
Son ambition dépasse les disciplines et s’inscrit dans une vision large, ancrée dans les langues, la transmission et l’humanité. « Je veux une carrière internationale, connectée à plusieurs cultures. Je vois le théâtre et le cinéma comme des outils de réflexion pour inspirer nos communautés », affirme-t-il. « La voix, c’est la base de nos histoires. Et toutes ces histoires se croisent dans la culture », insiste-t-il.
Parallèlement, il approfondit la linguistique, en articulant sciences du langage et regard critique sur les sociétés. « J’analyse à la fois la structure du langage et sa portée culturelle. Il y a aussi des ponts avec l’informatique », explique-t-il. Le mannequinat, dans ce contexte, n’est pas un simple hobby. C’est un levier qu’il utilise stratégiquement, chaque fois qu’il peut y transmettre du sens.