« Les incubateurs doivent soutenir beaucoup plus d’entreprises qui sont dirigées par des femmes », déclare le conseiller en placement chez ProFin, Lionel Saint Dic, dans une interview accordée à notre rédaction lors de la première édition de Haïfex. L’événement, organisé par EGM & Management et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) avec leurs partenaires, s’est tenu du samedi 5 au dimanche 6 juillet au centre de convention de l’hôtel NH Haïti El Rancho.
Cette activité visait à mettre en lumière l’engagement des femmes au cœur de l’économie nationale, tout en proposant des idées nouvelles pour favoriser leur inclusion dans les différents secteurs économiques du pays. Le rassemblement a aussi été pensé comme une plateforme d’exposition pour les entrepreneures locales. Plusieurs personnes présentes ont partagé leurs impressions avec notre rédaction, soulignant l’importance d’une meilleure intégration des femmes dans l’économie formelle.
Parmi elles, Marie Changlais Aimé, cofondatrice de la startup Thinkinnov Technologies et gagnante du concours national d’entrepreneuriat dans la catégorie Technologies et services numériques, estime que la question dépasse les enjeux de justice. « C’est une stratégie essentielle pour relancer l’économie d’Haïti. Si on leur donne un meilleur accès aux financements, à des formations et à des réseaux solides, leur travail pourrait devenir un vrai moteur de développement, créer plus d’emplois et faire bouger l’économie de manière durable. »

De son côté, Lionel Saint Dic affirme que cette initiative démontre la capacité des femmes à occuper une place centrale dans l’économie sociale. « À travers Haïfex, nous constatons une grande évolution dans l’économie formelle, c’est l’augmentation de l’inclusion des femmes dans le secteur économique du pays. Elles sont déterminées afin de participer dans l’évolution et l’innovation du pays, je tiens à les féliciter pour leurs engagements », soutient-il.
Le conseiller poursuit en évoquant le rôle des structures d’accompagnement. « Les incubateurs doivent soutenir beaucoup plus d’entreprises qui sont dirigées par des femmes parce qu’elles sont tenaces et elles sont les piliers de notre société », admet-il.
Marie Changlais Aimé insiste également sur le rôle incontournable des femmes dans l’économie informelle, en lien avec leur réalité quotidienne. « J’ai grandi dans une famille monoparentale. Ma mère faisait de son mieux pour subvenir à nos besoins avec sa petite boulangerie. Dans mon quartier, ce n’était pas rare de voir d’autres mamans faire la même chose : vendre dans la rue, tenir une petite boutique ou faire des allers-retours aux marchés. Et si on regarde bien, dans presque tous les marchés publics du pays, ce sont surtout des femmes qu’on voit derrière les étals. »

Pour plus d’un, inclure les femmes dans l’économie sociale est une stratégie essentielle pour relancer l’économie haïtienne de manière durable. Cela passe, selon eux, par un accompagnement sur plusieurs aspects, notamment la construction de réseaux solides, car leur travail pourrait représenter un véritable levier de développement et permettre la création de nouveaux emplois.
L’économiste Etzer Emile souligne pour sa part la nécessité de s’attaquer aux obstacles multiples qui freinent cette inclusion. « Prendre en compte les défis structurels, socio-culturels et économiques auxquels elles font face ; renforcer l’accès à l’éducation et à la formation professionnelle des femmes, promouvoir l’accès aux ressources économiques en facilitant l’accès au crédit et aux instruments financiers via des microfinances ou des coopératives est essentiel », indique-t-il.
Il appelle également à s’attaquer aux freins normatifs. « Toutefois, il faut aussi lutter contre les barrières socio-culturelles et juridiques impactant la participation économique des femmes. Soutenir l’entrepreneuriat féminin, renforcer les organisations de la société civile qui promeuvent le leadership, l’autonomisation économique et la lutte contre les violences basées sur le genre, améliorer les conditions de travail et la protection sociale des femmes et répondre aux défis contextuels notamment la crise sécuritaire », précise le fondateur de la firme de consultation Haïti Efficace.

Mona Lisa Dunbar, coordonnatrice nationale du Programme Appui à l’Entrepreneuriat Féminin (PAEF), indique que le ministère du Commerce et de l’Industrie a mis en place plusieurs projets pour faciliter l’intégration formelle des femmes dans la vie économique du pays. « Nous avons plusieurs projets d’assistances technique et financière pour les entreprises existantes ou pour des personnes qui ont des idées de projet, tels que le PAEF et le PAEJ (Programme Appui à l’Entrepreneuriat Jeunesse). La direction des affaires juridiques du ministère facilite la formalisation des entreprises en mettant en place un site internet, MCI.GOUV.HT, pour que tous les gens, spécialement les femmes, qui veulent enregistrer ou vérifier le nom de leurs business puissent le faire où qu’ils soient, facilement. »

En conclusion, Marie Changlais Aimé affirme que cette édition a constitué une opportunité importante. « J’ai beaucoup apprécié le fait qu’ils aient pensé à inclure des business dans des secteurs très variés, en allant des entrepreneures déjà bien établies à celles qui viennent tout juste de démarrer leur activité », déclare-t-elle.
Pour elle, ce qu’Haïfex a mis en œuvre est d’une grande portée. « Ils ont réussi à créer une plateforme où des jeunes femmes entrepreneures, parfois invisibles dans l’économie formelle, ont eu une occasion exceptionnelle de présenter leurs produits et services au grand public et de marquer leur entrée officielle sur le marché », constate-t-elle. Elle souligne enfin que cette initiative constitue, selon elle, un pas important vers la légitimation et la visibilité des initiatives féminines en Haïti.
Par Youbens Cupidon © Chokarella