Le mois de juin est reconnu comme celui de la musique, notamment grâce à la Fête de la musique, célébrée chaque 21 juin. À cette occasion, Chokarella vous propose de revenir sur le parcours de plusieurs groupes haïtiens dont les créations, festives ou engagées, ont marqué des époques, accompagné des générations et porté la voix d’Haïti au-delà des frontières.
Depuis plusieurs décennies, ces formations musicales racontent, chacune à leur manière, des pans de l’histoire haïtienne et de son actualité. Des groupes issus de Port-au-Prince, du Cap-Haïtien, des États-Unis ou de la diaspora antillaise, comme Tabou Combo, Boukman Eksperyans ou encore Zeklè, ont accompagné les mutations sociales et culturelles du pays, souvent à travers des textes revendicatifs, des hymnes populaires et des albums devenus des références.
Voici dix groupes haïtiens qui ont marqué leur époque.
1- Tabou Combo
Formé en 1968 à Pétion-Ville, Tabou Combo est sans conteste le groupe haïtien le plus emblématique à l’international. Dès ses débuts, le groupe impose un son moderne, mêlant compas direct, funk américain, kadans et rythmes afro-caraïbéens. Le morceau “New York City” devient un hymne des années 1970, propulsant le groupe sur les scènes d’Europe, d’Afrique et des Amériques.
Leur album Respect (1981) illustre leur maturité artistique, avec des titres qui font danser sans perdre en complexité musicale. Tabou Combo est aussi connu pour sa longévité et sa stabilité musicale, malgré les années. Des membres comme Shoubou (Roger Eugène) et Yves Joseph ont porté le groupe pendant des décennies. Ils se sont produits dans de prestigieux festivals tels que le Montreux Jazz Festival en Suisse ou encore le Carifesta dans la Caraïbe.
2- Boukman Eksperyans
Boukman Eksperyans a été fondé en 1978, en pleine période post-dictature. À une époque où le pays cherchait à retrouver sa voix, le groupe apporte un son nouveau, différent de ceux qui existaient : un mélange de musique rasin, de rock, de reggae et de percussions vodou. Leur premier album Vodou Adjae, sorti en 1991, leur vaut une nomination aux Grammy Awards et marque les esprits avec des titres comme Ke’m Pa Sote, chant de ralliement contre la dictature militaire.
Parmi les figures majeures du groupe, on retrouve Lolo (Jean Jean Roosevelt) et Manzè Beaubrun, couple emblématique qui fusionne spiritualité et revendication sociale. Ils se sont produits dans de nombreux festivals à travers le monde, notamment au WOMAD (Royaume-Uni) et aux Nuits d’Afrique de Montréal, où leur musique continue de séduire un public large et engagé.
3- Skah Shah
Créé en 1974, Skah Shah apporte un souffle romantique au compas haïtien. Leur style se distingue par une grande sophistication instrumentale, des harmonies vocales précises et une esthétique visuelle soignée. Dans les années 70 et 80, leurs chansons deviennent des incontournables des bals haïtiens et des radios communautaires.
Leur album Skah Shah #1, sorti en 1976, est une référence, grâce au tube Caroline. D’autres succès comme Toujou La ou Haiti renforcent leur statut de groupe culte. Parmi les membres influents, on compte Jean-Michel Saint-Victor (alias Zouzoul), chanteur au timbre reconnaissable, ainsi que Claude “Tico” Pasquet, percussionniste d’exception. Skah Shah a participé à plusieurs éditions du Festival Compas à New York et au Carnaval de Miami.
4- Zeklè
Zeklè se forme en 1983 et s’impose comme un groupe à part dans le paysage musical haïtien. Mêlant compas, jazz et funk, le groupe propose une musique unique, urbaine et poétique. Dans une Haïti en mutation, leur approche musicale représente un pont entre tradition et modernité.
Leur album Zanmi (1988) est une œuvre majeure, portée par des chansons comme Chawonyèt, qui parle d’amour et d’appartenance, ou Kè’m Ap Kriye. Parmi les membres emblématiques, on trouve Keke Bélizaire, claviériste et compositeur, et Jean-Claude Emmanuel (chant). Le groupe a été invité dans des festivals tels que Vives Voix ou le Festival des musiques métissées de Fort-de-France, où leur style authentique a brillé au-delà des frontières haïtiennes.
5- Orchestre Tropicana d’Haïti
Son autre nom est Fusée d’Or International. Fondé en 1963 dans la ville du Cap-Haïtien, Tropicana d’Haïti s’est imposé comme une figure emblématique de la musique haïtienne. Avec son style fidèle au Konpa direct traditionnel et des arrangements riches en cuivres, le groupe a traversé les décennies sans jamais perdre en popularité, grâce à des chansons devenues cultes comme Ti Zwazo, Marie Yo, Adjilca ou encore Sèm Ba Yo. Leur discographie témoigne d’une rigueur musicale exemplaire et d’une volonté de rester proche des réalités sociales haïtiennes, souvent abordées dans leurs textes. Des figures comme Maestro Pierre Denis, Claude “Ti Claude” Baptiste ou encore Ernst “Zephir” Zéphirin ont marqué l’identité du groupe.
6- Magnum Band
Fondé en 1976 par les frères André Dadou et Claude Tico Pasquet, Magnum Band s’est imposé comme une figure emblématique du konpa haïtien, particulièrement au sein de la diaspora installée aux États-Unis, notamment à Miami. Le groupe se distingue par un konpa lent, épuré et élégant, fortement influencé par le jazz et la soul américaine. Fidèle à une esthétique musicale sobre mais raffinée, Magnum Band a su traverser les décennies avec discrétion et constance, livrant des albums marquants comme Experience ou Pike Devan.
En 1996, le groupe est invité à se produire aux Jeux olympiques d’Atlanta, puis représente Haïti lors du premier Festival de musique créole en Dominique, en 1997. Ses tournées internationales ont lieu de la Guadeloupe à la France, en passant par le Canada et les États-Unis. Le style du groupe est souvent classé comme « old school », une étiquette que ses membres revendiquent avec fierté, incarnant une école du konpa axée sur la qualité des arrangements et le respect de la tradition. Au fil des années, Magnum Band a vu passer en son sein de nombreux musiciens de talent, parmi lesquels Jean Almatas, Roland Cameau, Nasser Chery, Essud Fundcap, Jean Robert Narcisse, Yvon Mondésir, Varnel Pierre, Waag Lalanne et Ernst Gabriel.
7- Septentrional
Surnommé la boule de feu internationale, l’orchestre a plus de 75 ans d’existence ; c’est une institution vivante dans l’industrie musicale haïtienne. Fondé en 1948 au Cap-Haïtien, ce groupe incarne la mémoire collective du pays, fusionnant konpa, rythmes traditionnels et influences big band. Il a traversé les décennies sans jamais perdre son ancrage régional ni son attachement à la culture nationale. Des titres comme La Gonâve ou Eske w konn fè lanmou ont captivé plusieurs générations. Patrick “Pat” Noël, Cédor Labissière, Roger Colas et Jean Rony Joseph ont fait partie dudit groupe.
8- DP Express
Actif surtout dans les années 70 et 80, DP Express, aussi connu sous le nom de Dixie Band, a marqué l’âge d’or du compas haïtien. Porté par des musiciens comme Tony Moïse ou Toto Laraque, le groupe a brillé par ses orchestrations léchées, ses paroles raffinées et son style à la fois dansant et élégant. DP Express a joué un rôle majeur dans l’évolution du konpa urbain. Des titres comme Princesse, Nostalgie restent gravés dans la mémoire des mélomanes haïtiens. Hervé Bleus est le premier chanteur dudit groupe.
9- Mizik Mizik
Fondé dans les années 80 par des musiciens comme Keke Bélizaire, Robert Martino et Fabrice Rouzier, Mizik Mizik a toujours proposé un konpa teinté de jazz, de funk et de sonorités acoustiques.
10-Carimi
Fondé en 2001 par Carlo Vieux, Richard Cavé et Mickael Guirand, Carimi a rapidement conquis le cœur de la jeunesse haïtienne avec un konpa modernisé, mêlé de sonorités R&B et électroniques, ainsi que des paroles à la fois festives et engagées. Le groupe s’est illustré avec des titres devenus cultes, comme Ayiti Bang Bang, Baby I Missed You, Are You Ready?, ou encore Nasty Biznis. Le groupe a également marqué l’histoire par ses concerts à guichets fermés dans les grandes capitales de la diaspora haïtienne : New York, Paris, Miami, Montréal, et aux Antilles. Bien que le groupe se soit séparé en 2016, leur héritage perdure à travers les carrières solo de ses membres, notamment celle de Richard Cavé avec le groupe Kai. Après plusieurs années de séparation, Carimi a signé un retour spectaculaire avec sa tournée Reunion Tour, marquant l’histoire de la musique haïtienne : dans un premier temps à l’Accor Arena de Paris le 15 octobre 2022, puis le 27 décembre 2024, il est devenu le premier groupe haïtien à remplir l’UBS Arena à New York, devant plus de 19 000 spectateurs, et le 21 mars 2025 à l’Amerant Bank Arena de Miami.