La chanteuse haïtienne Asaphe Micaëlle Jean Louis, connue sous le nom d’Azaf, a dévoilé le 2 juin dernier la vidéo de sa reprise du morceau « Si w Al An Ayiti », sur sa chaîne YouTube. Cette interprétation, qu’elle avait proposée en direct pour la première fois lors d’un concert virtuel en 2021, en pleine pandémie, se voulait alors, selon ses mots, « un cri d’espoir au nom des exilés ».
En reprenant cette chanson du répertoire de Guy Durosier, Azaf évoque des sentiments d’éloignement et de solitude vécus à cette période. « Je l’ai repris en 2021 en pleine pandémie, c’était une période où la distance pesait vraiment. Je tenais à transmettre ce message de la part de tous ceux et celles pour qui c’était tellement difficile d’être séparés des siens », confie-t-elle.
Cette nouvelle version marque également son retour après plus d’un an d’absence et s’inscrit dans une volonté de rendre hommage à l’artiste disparu, tout en saluant le patrimoine culturel haïtien. Pour Azaf, cette démarche s’inscrit dans une réflexion personnelle. « Mes expériences, mes réflexions m’ont aidé à prendre conscience de qui je suis dans ce monde, de ce que représente pour moi ma culture et mon histoire. Haïti est cette terre qui a existé et qui existe encore mais je suis consciente aujourd’hui jusqu’à preuve du contraire qu’elle ne se réduit pas à un espace géographique », explique-t-elle.
Partie du pays en 2018 pour des raisons de sécurité, elle s’est installée au Canada, estimant à l’époque qu’il lui était difficile d’envisager l’avenir. « Je ne vis qu’en me projetant », ajoute-t-elle. Le départ n’a pas été sans douleur. « Tenant compte de notre passé, nos valeurs, nos habitudes et les conditions actuelles, je ne dirais qu’aucun du moins la majorité des Haïtiens ne sont pas partis de gaité de cœur », souligne-t-elle.
Avec cette reprise, qu’elle qualifie de « cri d’espoir », Azaf franchit une étape dans son parcours, après dix ans de carrière professionnelle. Elle annonce par ailleurs la sortie prochaine d’un nouveau single intitulé Kòve, prévue pour le 17 juin 2025, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse.
Originaire de Jérémie, dans le département de la Grand’Anse, Asaphe Micaëlle Jean Louis est née en 1992. Elle a suivi sa scolarité au Collège Saint-Joseph et au Collège Saint-Louis. Très tôt attirée par la musique, elle se souvient : « Je chantais toujours, partout, dans les églises, à l’école, dans les mariages et j’adorais. »
Engagée auprès de sa communauté, elle affirme avoir utilisé sa voix et ses actions caritatives comme moyens de sensibilisation. En 2008, alors qu’elle était en classe de seconde, elle a cofondé le collectif Les Descendants de Vilaire. « Ce mouvement nous permettait de créer et de nous engager. On réunissait des jeunes poètes, musiciens et danseurs de toutes les écoles de la ville, puis on créait des spectacles qu’on présentait à l’Alliance Française. Cette initiative compte parmi les plus marquantes de ma vie », raconte-t-elle.
En parallèle, elle animait des émissions visant à diffuser des messages positifs et à maintenir un lien avec le public. Cette volonté de s’impliquer, Azaf l’attribue à son tempérament. « Oui je suis une personne engagée, je dirais que mon esprit est intolérant aux injustices, à un niveau je n’ai pas choisi c’est inné », déclare-t-elle. Et d’ajouter : « Consciemment j’ai concilié l’artistique au politique parce que je suis de ceux qui pensent l’art peut ou, toutes proportions gardées, doit être utile. »
Libre dans sa création musicale, elle défend des productions alternatives. « Justement parce qu’on ne peut la caser, parce qu’elle est libre à quelques égards, toutefois mon style musical est une fusion de musique haïtienne, afro-caribéenne avec un fond de jazz », précise-t-elle.
Si elle reconnaît avoir été influencée par de nombreux artistes, elle affirme ne s’être jamais vraiment identifiée à l’un d’eux. Les obstacles, nombreux au fil de son parcours, ont été surmontés grâce à ce qu’elle qualifie de constance. « Même dans les pires moments, c’est ce qui m’a donné la force de les surmonter », indique-t-elle.
Aujourd’hui, Asaphe Micaëlle Jean Louis dit travailler sans relâche dans un environnement musical qu’elle estime encore marqué par des inégalités de genre. Elle invite les jeunes filles à rester déterminées. « Je pense toutefois qu’on est quand même assez loin du but quand on sait ce que soutient principalement cette présence féminine. La plupart du temps le public est intéressé par tout ce qui concerne l’artiste sauf son art. À ce niveau on a encore beaucoup de boulot », conclut-elle.
Par Youbens Cupidon © Chokarella