Le 1er juin 1953, Gonaïves, la Cité de l’Indépendance, a vu naître Emmanuel Rossiny Jean Baptiste, connu sous le sobriquet de Ti Manno, un musicien hors pair, un génie du Konpa Direct dont le talent pluridimensionnel continue de transcender toutes les générations. Toutefois, comme pour donner raison à Voltaire qui disait dans Le Siècle de Louis XIV que « le génie n’a qu’un siècle… », le 13 mai 1985, Ti Manno s’éteint à New York à l’âge de 32 ans, après une carrière musicale riche et mouvementée, mais qui n’aura duré que quinze ans.
Auteur-compositeur-interprète, guitariste, claviériste et percussionniste, la grande aventure de Ti Manno débute timidement au début des années 70 avec des groupes de quartier avant de prêter ses services aux Diables du Rythme et aux Formidables de St-Marc. Il s’envole ensuite pour les États-Unis d’Amérique où il intègre le Volo Volo de Boston comme chanteur aux côtés de Ricot Mazarin. C’est à ce stade crucial de sa carrière de chanteur que son talent commence à émerger, malgré une rude compétition avec des chanteurs confirmés de l’époque tels que Roger M. Eugene (Shoubou), Jean Elie Telfort (Cubano), Henry Célestin, Max Badette, etc.
Son expérience avec Volo Volo ne fait pas long feu puisqu’Arsène Apollon le convainc de rejoindre les rangs des Astros de New York. En 1978, après une tournée avec ce groupe, il décide de revenir au bercail pour s’y établir et continuer sa carrière musicale grandissante. Ainsi démarre sa merveilleuse aventure avec D.P. Express. Il y est engagé pour assurer la succession d’Hervé Bléus, chanteur adulé par les fans de ce groupe phare du Konpa Direct.
Les débuts de Ti Manno avec D.P. Express se heurtent à d’énormes difficultés. Les fans digèrent mal le départ d’Hervé, surnommé affectueusement « Boulou ». Ils font voir de toutes les couleurs au jeune Ti Manno, et ce, malgré le succès de Réalité, chanté avec panache par ce fils des Gonaïves.
Il fallait attendre la sortie de l’album David en 1979, suivie du succès éclatant et immédiat du titre éponyme de cet opus, pour voir sa grande consécration. Tous les titres de David enflamment la bande AM et les boîtes de nuit comme un feu de forêt : E, e, e, e, Ensemm Ensemm, Corige, etc. trottent sur toutes les lèvres.
Avec cet album, une euphorie totale s’empare de Port-au-Prince, des provinces et de la diaspora haïtienne de l’Amérique du Nord, des Antilles françaises et jusqu’en Métropole. La fièvre Ti Manno est contagieuse et se propage à la vitesse de la lumière.
David s’écoule à près de 100 000 copies. D.P. Express fait salle comble partout où il est programmé. Ti Manno devient, dès lors, l’artiste haïtien le plus populaire et le plus adulé.
Au sommet de sa popularité, en 1981, il quitte D.P. Express et décide de former son propre groupe, le Gemini All Stars. En été 1982, L’Argent, le premier album de GAS, atterrit dans les bacs. Il connaîtra un grand succès. Au cours de cette même période, sa santé chancelle et il est forcé de retourner aux États-Unis. Son nom perd de son éclat jusqu’à s’éclipser temporairement dans l’univers musical haïtien. Et la date fatidique du 13 mai est arrivée.
Harangueur de foule hors du commun, il innove sans arrêt. Quant à ses prestations lors des festivités carnavalesques, elles resteront inoubliables et feront école pour des générations encore.
Ti Manno figure parmi les meilleurs paroliers du Konpa Direct. Ses textes abordent différents sujets et dénoncent des problèmes d’ordre politique, social et culturel (Nèg kont Nèg, Exploitation, Canter, Mariage d’intérêt). Ce n’est pas sans raison qu’on le surnomme « Le Prophète ». En outre, sa plume s’attaque au système éducatif (Gen de pwofesè ki pa genyen l’art d’expliquer), devient sarcastique vis-à-vis de la société traditionnelle (Pale français vini tounen metye. Yo konfonn Fakilte ak Inivèsite). Des paroles qui sont, hélas, toujours d’actualité.
Ti Manno est le chanteur haïtien le plus engagé dans le Konpa Direct. Indiscutablement, il reste et demeure l’un des visages les plus emblématiques de la musique haïtienne. Une légende pour les Antillais de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, qui lui rendent hommage annuellement.
Les dépouilles de Ti Manno reposent dans la tombe 17, section 10, plot 95, au cimetière de Calvary, situé au 49-42, Laurel Hill Blvd, Woodside, dans le Queens à New York. Si, par hasard, vous êtes dans la zone, arrêtez-vous pour déposer une gerbe de fleurs sur sa tombe. Qui sait, si vous êtes attentif, vous l’entendrez peut-être chanter pour vous. Ne vous gênez pas pour danser alors.
Contribution de Philippe Saint Louis