La cheffe de cuisine haïtienne Nadège Fleurimond a annoncé l’ouverture prochaine d’un restaurant à New York. Invitée ce mardi 29 avril dans l’émission « Carel In the Morning », l’entrepreneure, auteure, politologue et restauratrice est revenue sur son parcours et les initiatives qu’elle a menées pour valoriser la culture haïtienne à l’international, notamment à travers la gastronomie et la littérature.
Au cours de l’entretien, Nadège Fleurimond a retracé les étapes de son engagement, de la publication de son livre « Haïti Uncovered » à la création du mouvement « Haitian Restaurant Week », en passant par le lancement de son concept de restaurant autour de la banane. Elle dirige en effet depuis trois ans un espace culinaire baptisé Bunnan, implanté dans un food hall de New York, où tous les plats sont élaborés à base de banane. Une idée qu’elle dit avoir d’abord lancée avec prudence : « Je ne savais si les gens allaient embrasser le concept comme ça », confie-t-elle.
Face à l’accueil réservé à cette initiative, Nadège Fleurimond a décidé de franchir une nouvelle étape. « Je vais créer un Breakfast Dinner Lunch Bunnan à temps plein, à Flatbush Avenue, le 10 mai à l’occasion de Haitian Restaurant Week. Car j’observe à Brooklyn, les Haïtiens n’ont pas un endroit à eux où ils peuvent prendre un petit-déjeuner préparé avec des ingrédients venant de leur cuisine traditionnelle », explique-t-elle. Elle précise également : « Les Breakfast Spot ouvrent leurs portes entre 10h et 11h, moi je vais créer un espace de détente. »
Installée aux États-Unis depuis l’âge de sept ans, Nadège Fleurimond a évoqué son enfance et son rapport au pays qu’elle a quitté très jeune. Elle raconte sa frustration face à la façon dont Haïti est souvent représentée : « Ils disent toujours qu’Haïti est un pays pauvre », déplore-t-elle.
C’est d’ailleurs à l’université, après avoir cuisiné pour ses camarades, qu’elle prend conscience de l’intérêt que suscite la gastronomie haïtienne. « C’est à ce moment j’ai vu qu’ils ont changé de thème lorsqu’ils se sont réunis pour parler de mon pays et simultanément j’ai vu l’opportunité de lancer un petit start-up. Pour $5 ils avaient eu le droit à un de mes plats », relate-t-elle. Cette expérience marquera le début de son aventure dans le secteur de la restauration.
Après avoir obtenu une licence en sciences politiques à l’université Columbia, elle travaille brièvement au sein du gouvernement américain. Mais, très vite, elle décide de se consacrer à la cuisine. « Grâce à ce poste j’ai rencontré d’autres gens qui se sont intéressés par notre cuisine. J’abandonnais le poste et je me suis dite je n’ai pas d’enfant, donc je peux souffrir afin de me concentrer sur ce que j’aime », raconte-t-elle.
Elle s’oriente alors vers le service traiteur, tout en continuant à transmettre sa passion. Une remarque de son fils l’interpelle particulièrement : « Un jour, mon petit est venu dans la maison, il m’a dit que quand les vieillards seront morts, qui va préparer toutes tes nourritures ? », se souvient-elle. Sa grand-mère, présente ce jour-là, considère la question pertinente. Nadège Fleurimond décide alors d’approfondir cette réflexion : « Je l’ai analysée en profondeur et j’ai décidé d’écrire un livre sur la cuisine haïtienne, parce que je sais cuisiner certes mais avec un esprit diasporique et les ingrédients que nous avons aux États-Unis n’ont pas de la même qualité que ceux que nous trouvons en Haïti. »
Contre l’avis de ses proches, elle décide de se rendre en Haïti pour enrichir son projet. « Ils m’ont dit que je sais déjà cuisiner, pas besoin de me rendre là-bas. Je peux tout simplement écrire un livre, il y a beaucoup d’Haïtiens à Brooklyn, je n’ai qu’à les parler entre autres, cependant j’ai insisté pour faire le voyage », raconte-t-elle.
La réalisation de la première édition de Haïti Uncovered représente un investissement important. Selon Nadège Fleurimond, le coût total du projet s’élève à environ 70 000 dollars. Pour réunir cette somme, elle lance une collecte de fonds : « Dans moins de 30 jours, j’ai ramassé environ 20 000 dollars », précise-t-elle. Elle se dit surprise par la mobilisation. « J’entends souvent qu’on dit que les Haïtiens n’aiment pas faire ce genre de choses. »
Tout au long de ce projet, la cheffe a dû faire face à des critiques. « Il y a d’autres personnes qui me critiquent en déclarant que mon pays a beaucoup d’autres problèmes, pourquoi je vais investir tout cet argent dans un livre », rapporte-t-elle. Malgré ces remarques, l’ouvrage voit le jour en 2014. Nadège Fleurimond avoue avoir douté de sa capacité à vendre les exemplaires, en raison du prix élevé fixé à 80 dollars l’unité. « Le rythme de la vente m’a surpris », confie-t-elle.
Dix ans plus tard, elle a publié une seconde édition de Haïti Uncovered, enrichie de nouvelles recettes et de récits liés à la culture du pays. « Dans la seconde édition, il y a de nouvelles recettes et des histoires liées à la culture du pays que nous racontons à nouveau », explique-t-elle.
Ce travail lui a permis de tisser des liens avec des lecteurs désireux de mieux connaître Haïti. « Les gens ont été curieux lorsqu’ils ont aperçu que je fais des aller-retours en Haïti tout le temps, puis ils m’ont demandé de les y emmener », se souvient-elle. Pour organiser ces séjours, elle s’est tournée vers l’agence Bellevue Tours, sur recommandation de Vanessa Leon. « Elle a assuré la tournée avec nous en 2018 », précise-t-elle.
Depuis, Nadège Fleurimond continue de défendre l’idée que la gastronomie peut constituer un outil diplomatique et un levier pour l’entrepreneuriat, même dans les contextes les plus difficiles. Elle poursuit ses voyages en Haïti avec ses lecteurs, malgré la situation instable que traverse le pays.
Regardez l’interview complète de Carel Pedre avec Nadège Fleurimond sur la chaîne YouTube de Chokarella ci-dessous :
Par Youbens Cupidon © Chokarella
