Bayyinah Bello, historienne haïtienne, était l’invitée de l’émission “Carel in the Morning” ce mardi 8 avril 2025. Elle y a présenté la commémoration des 75 ans du Congrès des Femmes en Haïti, prévue du 10 au 12 avril sur le campus Henry Christophe à Limonade, dans le Nord du pays. Un rendez-vous qui vise à revisiter l’histoire du mouvement féministe haïtien tout en interrogeant les enjeux actuels d’égalité et de justice sociale.
Cette commémoration s’inscrit dans la continuité du premier congrès des femmes en Haïti, organisé en 1950 sous la présidence de Dumarsais Estimé. À l’époque, l’événement avait rassemblé de nombreuses figures engagées, telles que la Première Dame Lucienne Heurtelou ou encore Madeleine Sylvain, alors candidate au Sénat. Selon Bayyinah Bello, « le congrès s’est tenu à une époque où il y avait beaucoup de luttes pour faire respecter les droits des femmes ». Il fut l’occasion de débattre de l’éducation des enfants, de la condition des femmes en province, et de la promotion sociale nécessaire à l’édification d’une nation.
Le Haitian Women’s Congress de 2025, porté par plusieurs organisations féministes dont la Fondation Félicité, réunira un large éventail d’intervenantes parmi lesquelles Angie Bell, Michelle Duvivier Pierre-Louis, Roseline Benjamin, Danielle Saint-Lot, Dieudonne Luma Étienne, Bayyinah Bello, Stephanie Sophie Louis, entre autres.

Le congrès s’ouvrira officiellement le 10 avril. Le 11, des panels thématiques reviendront sur les discussions de 1950, en explorant les progrès réalisés depuis. Une chanson congolaise des années 1960, Nakomitanaka, viendra enrichir les réflexions à travers une de ses phrases marquantes : « Map poze tèt mwen kesyon », utilisée ici comme une invitation à remettre en question ce qui est établi et à interroger les savoirs transmis. Le 12 avril marquera la fin des discussions avec une cérémonie de clôture.

Un travail de mémoire est engagé en parallèle, avec la mise en ligne des archives disponibles sur le congrès de 1950. Ces documents seront étudiés pour en extraire les principaux axes de revendications des femmes de l’époque et pour mesurer les avancées, mais aussi les attentes encore non satisfaites. L’objectif est de continuer à œuvrer pour la concrétisation des engagements restés en suspens.
Au-delà du lieu principal du congrès, des organisations réparties dans différentes régions du pays se réuniront également pour débattre des thèmes soulevés, et proposer des actions concrètes. Ces propositions seront ensuite centralisées et remises aux autorités afin d’initier des changements structurants.

Lors de l’émission radiophonique, Bayyinah Bello est revenue sur la nécessité de préserver la mémoire historique. « Se la memwa ki pi enpòtan, si w pa konn sa zansèt ou te reyalize, tout sa w ap fè se dife pay », a-t-elle déclaré, soulignant l’importance de connaître les acquis du passé pour ne pas répéter les mêmes erreurs.
L’historienne a également évoqué les lacunes du système éducatif haïtien, qu’elle estime déconnecté de la réalité nationale. Elle a notamment rappelé l’origine du modèle actuel, en pointant du doigt le Concordat de Damien signé avec le Vatican en 1860. « L’Église a le monopole de l’instruction publique », rappelle-t-elle, citant l’article 12 de ce texte. Pour elle, il devient nécessaire de repenser l’école afin de former « de bons citoyens haïtiens », en particulier pour permettre aux jeunes de réapprendre « la valeur des femmes dans la lutte pour la liberté, l’éducation et la justice sociale ».
Selon elle, les femmes continuent d’être marginalisées dans les espaces de décision. « Celles qui osent parler finissent mal », alerte-t-elle, en soulignant les résistances persistantes face aux voix féminines qui s’affirment dans la sphère publique.

Pour Bayyinah Bello, cette initiative ne doit pas se limiter à un simple moment de commémoration. Il s’agit, insiste-t-elle, d’un appel à se souvenir, à s’organiser, et à construire un avenir plus juste. Le congrès, dans cette perspective, veut inscrire la mémoire dans une dynamique collective tournée vers la transformation sociale.
Regardez l’interview complète de Carel Pedre avec Bayyinah Bello sur la chaîne YouTube de Chokarella ci-dessous :
Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve © Chokarella